Lutte contre les paradis fiscaux : « Nous sommes à un tournant »

Mardi 21 avril 2015

Lutte contre les paradis fiscaux : « Nous sommes à un tournant »

ECONOMIE | Mis à jour le mardi 21 avril 2015 à 10h02

L’économiste français Christian Chavagneux présente ce mardi son rapport sur les paradis fiscaux au Parlement européen. A cette occasion, il était « L’Acteur » de Matin Première face à Bertrand Henne. Selon lui, si l’on n’est qu’au tout début de la lutte, le combat contre les paradis fiscaux connaît actuellement un « momentum » dont il s’agit de profiter. Et dont il espère qu’il perdura encore, le temps que des mesures efficaces soient mises en place et que leurs effets se fassent ressentir.

Le journaliste économiste Christian Chavagneux présentera donc son rapport « Combattre les paradis fiscaux : ce qui a été fait et ce qui devrait être fait » aux eurodéputés ce mardi.

S’il est « encore trop tôt » pour pouvoir dire que le rôle des paradis fiscaux est en déclin actuellement, le journaliste économique souligne cependant qu’il y a des raisons d’être optimiste. Le combat contre ces paradis fiscaux (qui privent les Etats, et donc les services publics, de ressources importantes) est né récemment. L’éditorialiste d’Alternatives économiques situe l’impulsion réelle au niveau du G20 (qui rassemble les 20 plus grandes puissances économiques mondiales). Il souligne que dès 2009, mais plus clairement encore depuis 2012, les Etats-Unis ont lancé la charge et que le reste du monde a embrayé, Europe et grandes puissances émergentes (Chine, Inde,…) comprises.

Mais si la volonté politique semble désormais là, le combat n’est encore qu’embryonnaire. Et les paradis fiscaux restent au centre du système financier globalisé. « Aujourd’hui, les paradis fiscaux ce ne sont pas des petites îles ensoleillées avec des palmiers où quelques riches vont cacher de l’argent. Ce sont des infrastructures clef du système financier mondialisé », résume le docteur en économie.

Pour le démontrer, il donne l’exemple des investissements réalisés par les grandes multinationales en Europe. « Quand les multinationales du monde entier viennent investir en Europe, quel est le premier dans lequel elles investissent ? Le Luxembourg. Dans des proportions très importantes », note-t-il. « Alors soit le Grand-Duché est une puissance industrielle complètement sous-estimée, soit c’est pour d’autres raisons », ironise l’ancien rédacteur en chef de la revue L’Economie politique. Il rappelle que la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement) a mis en lumière le fait que le Luxembourg offre des entités juridiques opaques qui permettent à ces multinationales de payer (encore) moins d‘impôts sur leurs bénéfices.

Rester vigilant dans la durée

« Certaines entreprises utilisent des techniques très précises, et connues qui permettent de déplacer le profit des endroits où ils sont réalisés vers des endroits où elles vont payer moins d’impôts via des trucs juridiques », détaille l’invité de Bertrand Henne.

Mais cette situation n’est pas une fatalité, selon lui, même si le combat n’en est encore qu’à ses débuts. Selon Christian Chavagneux, on se trouve historiquement dans un « momentum », dans une dynamique favorable à la lutte contre l’évasion fiscale via les paradis fiscaux. On n’avait plus vu ça « depuis les années 20 et la Société des Nations », estime-t-il. Depuis presque un siècle donc, on aurait laissé traîner les choses selon lui. Mais depuis quelques années, le combat a donc repris et des mesures clefs ont été ou sont mises en place.

Parmi ces mesures, le co-auteur de « Tax havens. How globalization really works » pointe notamment l’échange automatique d’informations fiscales. « Si un Belge ouvre un compte en Suisse ou aux Caïmans, le fisc belge doit en être informé dans l’année », explique-t-il. Ce qui rend évidemment vain la tentative d’évasion fiscale qui pourrait en résulter. Une parade qui pourrait rendre obsolète le secret bancaire, à condition qu’il soit respecté.

Si de la fin des années 1990 jusqu’aux années 2007-2008, "il y a eu une explosion de l’utilisation des paradis fiscaux (…) depuis 2012-2013, il y a une action réelle du G20 mais elle ne va vraiment démarrer qu’en 2017-2018. Dès lors, on ne verra vraiment le résultat de tout cela que dans 10 ans« , pronostique l’économiste. »Ce que je souligne dans le rapport, c’est qu’il faut faire en sorte qu’on puisse garder ce momentum politique, qu’on ait des rapports annuels« , bref que l’on reste vigilant dans la durée »pour que la société civile et les journalistes puissent se saisir du sujet et continuer à faire bouger les choses« , exhorte Christian Chavagneux. »Il faut renforcer les administrations fiscales"

Alors que l’on sait qu’à l’avenir, l’on va disposer d’énormément d’informations fiscales sur les entreprises es et les particuliers en Europe, on constate que sur notre continent, les administrations fiscale ont perdu, depuis 2008, entre 10 et 20% de leurs effectifs. « Donc, vous allez avoir énormément d’infos et personne pour les traiter », caricature le journaliste. Or, « si on veut vraiment lutter contre les paradis fiscaux, il pouvoir traiter les informations : il faut donc renforcer les administrations fiscales ».

Et puis, il y a des éléments sociétaux qui veillent : « les ’lanceurs d’alerte’, la presse d’investigation, la société civile qui est mobilisée avec un niveau technique de plus en plus élevé,… Demain, il sera de plus en plus difficile pour les paradis fiscaux de continuer à travailler », prédit l’Acteur de ce mardi.

RTBF

Revoir l’interview en intégralité ci dessous.

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