Evasion estivale dans les paradis fiscaux

Dimanche 12 juillet 2015

Evasion estivale dans les paradis fiscaux

Les Rencontres d’Arles Paolo Woods et Gabriele Galimberti donnent à voir les gens, les lieux et les effets de cet argent qui échappe au fisc.

C’est un secret de Polichinelle mais à l’opacité redoutable. Tout le monde connaît ces zones franches de la finance mondialisée où l’argent disparaît des circuits officiels et de tout contrôle étatique, mais personne, à part quelques experts et avocats fiscalistes, ne connaît précisément les mécanismes juridiques qui permettent ces tours de passe-passe, pas plus que les territoires qui servent de supports à ces pratiques.

Paolo Woods, dont on se souvient le travail sur Haïti présenté conjointement à celui de Sebastião Salgado à l’Elysée, et Gabriele Galimberti ont cherché à mettre des images – des visages, des demeures, des paysages – sur ce réseau qui, comme le résume un acteur de ce milieu cité par leur soin, « pourrait ne pas être considéré comme moral, mais c’est tout à fait légal ». Leur exposition, « Les Paradis. Rapport annuel », s’articule autour d’une table de réunion où chaque place porte le nom d’une région œuvrant dans l’optimisation fiscale, non sans en retirer de très substantiels bénéfices au passage. Luxembourg, Hongkong, Delaware et évidemment la Suisse y ont leur inscription. Interview de Paolo Woods qui parle au nom de la paire.

Vos images reposent-elles sur un important travail d’informations préalable ?

Le point de départ est toujours journalistique, avec l’envie de raconter quelque chose que nous ne connaissons pas et d’en montrer les conséquences sur la vie. Mais nous n’utilisons pas forcément le langage classique du photojournalisme. Nous recourons à d’autres codes, des dépliants de brochure de banques par exemple. La préparation est le travail le plus long. Cela fait presque trois ans que ce projet a débuté. Chaque voyage – pas plus de deux semaines vu nos moyens limités – est précédé d’une énorme collecte d’informations, de contacts et de demandes d’accès.

Il y a de nombreux portraits d’acteurs de ce milieu financier. Comment avez-vous gagné leur confiance ?

Pendant un temps nous avons travaillé pour un magazine économique américain plutôt probusiness. Cela rassurait. Mais nous ne leur avons jamais menti. Par contre, il y a des mots qu’il ne faut pas utiliser, comme « paradis fiscal » par exemple. Eux parlent plutôt d’« offshore industry » ou « offshore platform ». Quand des pays, comme les îles Vierges britanniques, réalisent 70% de leur PIB – ce qui est énorme – avec cette activité et 30% avec le tourisme, ils ne peuvent pas dire : « Non, on ne fait pas ça. » Ils assument, défendent leur droit à le faire. Mais pour une photo, il y a eu dix refus.

Ils semblent même parfois assez offensifs…

Oui, car ils sont dans la légalité. Mais il y a deux choses à préciser. D’abord ce secret, légal, sert parfois à couvrir des activités qui ne le sont pas, comme le trafic de drogue ou les crimes d’une dictature. Ensuite, que les lois qui organisent ces plates-formes offshore sont suggérées par les « big four », de grosses compagnies qui anticipent les possibilités d’optimisation fiscale et aboutissent au fait que Starbucks ou Zara ne paient aucune taxe. C’est légal sur le papier, mais un défi moral.

Comment trouvez-vous l’expression visuelle de ces pratiques ?

C’est un défi. On cherche à comprendre le phénomène pour le traduire en images. Par exemple, à Panama, il y a de nombreux bâtiments vides car les appartements sont achetés en tant que placements avec l’argent de la drogue. Des photos de nuit montrent des immeubles noirs, là où à Dubaï, ils seraient éclairés. On ne se balade pas l’appareil au cou pour trouver nos idées, c’est toujours réfléchi.

Vous n’avez pas subi de pressions ?

Pas encore en tout cas, le projet sort maintenant. Ces milieux travaillent avec des avocats donc nous avons fait hyperattention à ne jamais suggérer des choses. Les légendes, les textes, reposent sur des preuves ou s’appuient sur d’autres sources, qui ont des épaules plus grandes que les nôtres. Lire la suite.

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