Les frégates de Taiwan cherchent preneurs

Vendredi 29 octobre 2004 — Dernier ajout dimanche 6 mai 2007

Les frégates de Taiwan cherchent preneurs

La France en quête d’une solution pour négocier au mieux les navires à l’origine de l’affaire Elf.

Par Renaud LECADRE

vendredi 29 octobre 2004 (Liberation - 06 :00)

La France est en train de négocier le rachat des frégates vendues en août 1991 à Taiwan. Maudites frégates, sources de commissions baladeuses (au moins 500 millions de dollars), de multiples procédures judiciaires et autant d’embarras diplomatiques. L’Elysée dément formellement toute tractation, mais une délégation taïwanaise est présente depuis quelques jours au salon naval du Bourget, ouverte à tout type d’accord.

Grain de sel. Truffées de matériel militaire estampillé Thales (ex-Thomson CSF), ces six frégates, d’une valeur de 3,2 milliards de dollars, ont été à l’origine de la première affaire Elf : la compagnie pétrolière, venant au secours de Thomson, avait salarié Christine Deviers-Joncour afin de convaincre son amant de l’époque, Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères, de passer outre le veto de la Chine populaire, toujours chatouilleuse dès qu’il s’agit de Taiwan. Dumas a été lavé de tout soupçon par la justice française, mais il a quand même glissé son grain de sel dans l’affaire, en affirmant publiquement que les commissions étaient destinées à 80 % aux « responsables de Taiwan » et à 20 % au « comité central du Parti communiste chinois » ­ depuis, un corbeau s’échine à mettre en cause des versements au profit de politiques français.

Ensuite, l’affaire des frégates est devenue une affaire Thales, instruite à Paris par les juges Renaud Van Ruymbeke et Dominique de Talencé. Les comptes suisses du principal intermédiaire, Andrew Wang, ont été gelés : 500 millions de dollars, en attente d’affectation à des bénéficiaires occultes selon l’accusation, lui appartenant en propre et en pleine légalité, selon l’intéressé. Entre-temps, le nouveau gouvernement taïwanais s’insurge et réclame le remboursement des commissions, au motif que l’article 18 du contrat de vente, baptisé Bravo, excluait tout versement à des intermédiaires.

En octobre 2003, les juges d’instruction français acceptent la constitution de partie civile du ministère de la Défense de Taiwan. Un rapport du procureur de la République de Paris Yves Bot, révélé alors par le Figaro, sonne l’alerte : la France pourrait être condamnée à rembourser les commissions plus ou moins occultes, augmentées d’intérêts de retard. Soit un minimum de 600 millions de dollars, plus que dans l’affaire Executive Life…

En mai 2004, la cour d’appel de Paris juge irrecevable la plainte des Taïwanais, pour des motifs procéduraux. Mais trop tard, comme l’avait anticipé le procureur : « Taiwan a d’ores et déjà obtenu le résultat escompté, obtenir copie des pièces du dossier qui seront de la plus grande utilité dans l’instance arbitrale. » Cette procédure parallèle a été engagée en août 2001 devant la Chambre de commerce internationale. Toujours en cours, elle pourrait coûter cher à la France, laquelle s’agrippe vainement à son secret défense.

Besoin. C’est sur ces entrefaites que serait né le principe de solder le contentieux en revenant à la case départ, donc en revendant les six frégates à la France : l’armée taïwanaise n’aurait plus tant besoin de ce matériel ultrasophistiqué, le gouvernement Chinois en serait fort aise. Le seul problème est que l’armée française n’a nul besoin de ces frégates et que le budget de la France ne peut se permettre de rembourser 16 milliards de francs plus intérêts. L’idée serait de trouver un pays tiers ­ le Qatar a été un temps évoqué ­ candidat à la reprise finale des frégates (de même pour les mirages 2000 fournis à Taiwan en 1992 : ils pourraient échouer à Singapour). La France se démène pour trouver un client, atteste une source gouvernementale.

Et si cela peut mettre fin aux procédures tout en rendant service à la Chine… Que du bonheur.

© libération

Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

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