Lanceurs d’alerte : le double jeu européen

Mardi 3 novembre 2015

Récit

Lanceurs d’alerte : le double jeu européen

Par Renaud Lecadre — 2 novembre 2015 à 19:36

Dans le cas d’Antoine Deltour, comme pour celui de Hervé Falciani dont le procès s’est ouvert lundi en Suisse, la justice poursuit ceux qui dévoilent des informations, tout en exploitant ces dernières dans leurs enquêtes.

Sur le papier, Antoine Deltour risque cinq ans de prison pour « violation du secret des affaires ». Ce Français de 29 ans, auditeur à l’antenne luxembourgeoise du cabinet PricewaterhouseCoopers (PWC) entre 2008 et 2010, est à l’origine du LuxLeaks. Pour avoir copié 28 000 pages de documents internes décrivant comment des multinationales installées au Grand-Duché mitonnaient des arrangements fiscaux aux petits oignons. Et pour les avoir remises en juin 2012 à un journaliste de Cash Investigation (France Télévisions). Lequel les transmettra, deux ans plus tard, au Consortium international pour le journalisme d’investigation (ICIJ, son acronyme anglo-saxon), qui fera exploser l’affaire LuxLeaks.

Expéditive ? En mai, le parquet du Luxembourg a requis son renvoi devant un tribunal, alors qu’Antoine Deltour n’a été auditionné qu’une fois. Justice expéditive ? Le procès devait s’ouvrir fin octobre, mais la justice grand-ducale marche sur des œufs. Entre-temps, Bruxelles s’est saisi de ses fichiers et les a exploités. « Nous considérons le matériel LuxLeaks comme des données de marché, ce qui signifie que nous pouvons les utiliser », déclarait en 2014 la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager.

[…] Un mois plus tôt, en septembre, le Parlement de Strasbourg remettait à Antoine Deltour le prix du citoyen européen de l’année. Comme un pied de nez - ou bras d’honneur - signifié à la justice luxembourgeoise. « J’ai dénoncé des pratiques qui, jusqu’à ce jour, sont considérées comme légales mais de plus en plus contraires à l’éthique, expliquait-il à Libération, dans un entretien-outing publié fin 2014. J’ai du mal à imaginer que je puisse être condamné pour l’exemple. » Même le plaignant, PWC, admet n’avoir subi aucun préjudice : « Nos clients ne sont pas gênés de voir des opérations légales publiées. » Alors, pourquoi s’acharner contre lui, au nom du sacrosaint « secret des affaires » ?

Guerre. Sur ce point, Bruxelles a délivré cet été un mauvais signal, en initiant un projet de directive visant à renforcer ce secret, sous prétexte de guerre économique. « Loi du silence étendue à l’ensemble des activités des entreprises à qui l’on offre la possibilité de mettre sous scellés n’importe quel type d’information, [donnant] aux multinationales les moyens de contrôler l’information », ont protesté des eurodéputés (Eva Joly, Pascal Durand, Aurélie Filippetti, Christian Paul, Corinne Lepage, Michèle Rivasi) en juin, dans Libération. Lire la suite sur le site du journal Libération.

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