Procès Bolloré contre Bastamag : « On veut instrumentaliser votre justice ! »

Dimanche 14 février 2016

Procès Bolloré contre Bastamag : « On veut instrumentaliser votre justice ! »

L’ Obs

Publié le 12-02-2016 à 19h53

L’industriel a traîné Bastamag et neuf journalistes et blogueurs en justice pour un article qui l’accuse d’accaparer des terres en Afrique. Bolloré tente-t-il de « museler » la presse ?

« Ce procès, c’est de l’intimidation. Bolloré se sert de nous pour régler ses comptes. » Moins d’un quart d’heure avant l’audience, Julien Lusson, ancien directeur de Bastamag, n’est pas tout seul à bouillonner. Quelques autres esprits échaudés rôdent sur le plateau correctionnel, ce jeudi 11 février, au tribunal de grande instance de Paris, où la 17e chambre doit examiner une affaire de diffamation visant quatre journalistes du site d’actualité sociale et environnementale. « Ce procès est scandaleux, dégueulasse », s’emporte une des personnes venues en soutien. « C’est David contre Goliath », poétise Julien Lusson.

Les « choix homéopathiques » de Bolloré

La question plane : qu’est-ce qui peut bien pousser un capitaine d’industrie - dix milliards d’euros de chiffre d’affaire - à traîner au tribunal correctionnel un petit média alternatif ? Pourquoi y mettre en cause aussi son cortège de relais sur internet, poursuivis en tant que « complices » du délit, des blogueurs, ainsi que Rue89 (filiale de l’Obs), représenté par son patron Pierre Haski, qui a signalé l’article dans une brève ? Qu’est-ce qui dicte ce « choix homéopathique », pour reprendre l’expression de l’avocat du groupe Bolloré, Me Olivier Baratelli (« s’il fallait que je rapporte toutes les diffamations, je ferais trois citations directes par jour ») ?

Au cours d’une audience de huit heures, à donner des maux de crâne, la salle comble a pu mesurer toute la densité de ce palpitant procès. Loin, très loin de se cantonner au cadre étroit d’une « atteinte faite à l’honneur ou à la considération » de Bolloré, comme le définit le droit en matière de diffamation, le procès était jubilatoire dans ses joutes, palpitant dans ses enjeux. Neufs prévenus, cinq témoins et huit avocats ont défilé à la barre : il s’est joué là le procès d’internet, du journalisme, du lien hypertexte, des nouvelles manières d’informer, de l’agrobusiness, de l’extorsion de terres, des grands groupes et des petits médias…

L’image de Bolloré écornée

Ce qui a déplu à Bolloré ? Un article, paru en octobre 2012 dans Basta, truffé de chiffres, de rapports d’ONG, d’études de think tanks, qui dénonce les « champions de l’accaparement de terre » en Afrique, et déplore les conditions de travail « calamiteuses » des ouvriers locaux. Parmi les entreprises citées dans l’article, Socfin. De cette société de holding luxembourgeoise, Bolloré est actionnaire à 38,75%.

Telle est donc la cible qu’ont visé les missiles judiciaires de l’industriel breton : ses avocats ont repéré dans l’article incriminé huit passages litigieux, allant de l’ironie sur ses allures de « gentleman farmer », jusqu’à la mention de l’achat « d’anciennes entreprises coloniales », constatés par l’Oakland Institute.

Déjà épinglé pour sa censure d’un documentaire sur le Crédit Agricole en septembre dernier, l’homme d’affaires est aujourd’hui suspecté tous azimuts de vouloir « museler » la presse critique. Bolloré a-t-il une « volonté maladive » d’endiguer tout débat concernant ses activités en Afrique, comme le dit Haski ? Ce procès est-il la manifestation de son réflexe procédurier - « d’une guérilla judiciaire », tente même l’avocat d’un ébéniste qui comparaît pour avoir relayé l’article ? Est-ce au nom d’une « conception étriquée, totalitaire, césariste (sic) de l’information », que le magnat de la presse attaque Bastamag en justice, ainsi que l’affirme Noël Mamère, cité comme témoin ? A la barre, le député écologiste fulmine : Nous n’avons pas beaucoup de médias qui n’appartiennent pas à des marchands de canons ou des accapareurs de terre. N’est-il pas temps de les protéger ?"}

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