Les gros profits des banques françaises dans les paradis fiscaux

Mercredi 16 mars 2016

Les gros profits des banques françaises dans les paradis fiscaux

Les banques françaises, qui sont désormais tenues de publier l’activité de leurs filiales à l’étranger, ont réalisé 5 milliards d’euros de bénéfices en 2014 dans des pays à la fiscalité très avantageuse.

Ils ne devraient être qu’un mauvais souvenir, ils sont toujours au cœur du système financier. Les paradis fiscaux ont plus que jamais la cote. Les banques françaises ont réalisé 5 Mds€ de bénéfices dans ces pays à la fiscalité avantageuse en 2014, année pour laquelle elles étaient tenues de rendre publics les bénéfices de chacune de leurs filiales partout dans le monde.

C’est en tout cas ce que révèlent plusieurs organisations non gouvernementales (CCFD-Terres solidaires, Oxfam et le Secours catholique). Dans un rapport d’une cinquantaine de pages dévoilé en exclusivité par « le Parisien » - « Aujourd’hui en France », ces ONG assurent que cette incroyable somme représente un tiers de leurs profits internationaux (15,3 Mds€).

Les établissements les plus lucratifs. « BNP Paribas et la Société générale sont les banques qui, en valeur absolue, enregistrent les bénéfices les plus importants (respectivement 2,4 et 1,3 Mds€) », expliquent les auteurs du rapport. Mais en termes de part des bénéfices localisés dans ces pays, c’est le Crédit mutuel-CIC qui monte sur la première marche du podium : 44 % de ses profits mondiaux sont déclarés dans les paradis fiscaux.

Au paradis de la rentabilité. L’activité des cinq plus grands établissements tricolores est en moyenne 60 % plus lucrative dans les paradis fiscaux que dans le reste du monde. Par exemple, selon les ONG, « pour un chiffre d’affaires de 1 000 €, les banques dégagent 362 € de bénéfices dans les paradis fiscaux contre 227 € dans les autres pays ». En France, ce chiffre tombe à 202 €. Comment expliquer de tels écarts ?

Au royaume du zèle. A en croire les chiffres officiels, les salariés des paradis fiscaux sont de véritables stakhanovistes de la finance. Ils sont 2,5 fois plus productifs. Et encore, il ne s’agit que d’une moyenne. A la Société générale, un banquier basé à Singapour est ainsi près de 42 fois plus productif que son homologue basé à La Défense…

Encore mieux… des filiales sans salariés. Bahamas, Bermudes, îles Caïmans, île de Man… ces confettis sur l’océan ont tous un surprenant point commun, les filiales des banques françaises n’y comptent aucun employé. Aux îles Caïmans, seize filiales tricolores ne déclarent aucun salarié ! « Pas même BNP Paribas qui indique pourtant posséder deux banques qui relèvent de la banque de détail », c’est-à-dire censées offrir des services bancaires de base.

Mais pourquoi aiment-elles tant ces territoires ? Les taux d’imposition sur les bénéfices y sont beaucoup plus bas qu’en France. Il y est même possible de négocier sa charge fiscale avec les autorités locales. Résultat, selon les ONG, en Irlande, dans un pays où le taux officiel d’impôt est à 12,5 %, la Société générale ne paie rien. Autre avantage local, les règles du jeu bancaire sont plus souples : « L’opacité qui règne dans les paradis fiscaux peut permettre aux banques de contourner leurs obligations réglementaires et d’y mener des activités spéculatives. »

La réponse des banques. Paradis fiscal ? « Attention aux définitions », martèlent les établissements. BNP Paribas, comme les autres, se réfère aux deux listes officielles établies en la matière, « celle élaborée par l’OCDE et celle publiée par la France ». A ce titre, le Luxembourg (voir ci-contre) n’est plus sur la liste des pays non conformes de l’OCDE depuis… fin 2015. « Nous refusons de travailler avec les pays non coopératifs et nous dénonçons toutes les transactions suspectes à Tracfin », renchérit-on au Crédit mutuel-CIC.

Le Luxembourg, eldorado de la finance tricolore Ni palmiers ni plages de sable fin. Et pourtant… « Avec plus de 1,7 MdEUR de bénéfices enregistrés, le Luxembourg est la destination privilégiée des banques françaises parmi les 32 paradis fiscaux dans lesquels elles sont implantées », relèvent les trois ONG — CCFD-Terre solidaire, Oxfam et le Secours catholique — dans leur rapport. A peine peuplé de 563 000 âmes, ce micro-Etat accueille ainsi, à lui seul, 6 % des bénéfices mondiaux des établissements français. Soit trois fois plus que l’Allemagne, l’un de nos principaux partenaires commerciaux…

Le Luxembourg n’a pas bonne réputation. Selon l’ONG Tax Justice Network, il représente 12 % du marché des services financiers offshore et occupe la 6e place du classement des juridictions les plus opaques du monde. Pas mal pour un pays dont l’ancien Premier ministre est aujourd’hui à la tête de la Commission européenne… Une réputation encore ternie l’an dernier, lorsque le scandale LuxLeaks a révélé au monde entier la pratique à grande échelle des « rescrits fiscaux ». Concrètement ? Des accords conclus au cas par cas entre des multinationales et le gouvernement du Grand-Duché, qui permettent à des géants comme McDonald’s, Google ou Disney d’échapper presque totalement à l’impôt. Jean-Claude Juncker, le Luxembourgeois président de la Commission européenne, a promis de faire de la lutte contre l’évasion fiscale un des chantiers prioritaires de son mandat. Officiellement, la guerre aux rescrits est déclarée… mais, en attendant, le Luxembourg continue de séduire les banques françaises.

Le Parisien Mercredi 16 mars 2016

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