Monsieur Elf vs Jacques Monsieur

Vendredi 14 septembre 2007 — Dernier ajout vendredi 22 juillet 2011

Monsieur Elf vs Jacques Monsieur

« En juin-juillet 1997 [la guerre civile Sassou Nguesso-Lissouba s’était déclenchée le 5 juin à Brazzaville] – c’était pendant un week-end – j’ai reçu deux lettres du ministre des Finances [de Lissouba] Nguila Moungounga, parce qu’il ne pouvait pas joindre Pierre Houdray, chargé de la gestion, à Paris, du compte “MinFin Congo” auprès de la Fiba […] [alimenté] sur la base d’une partie de la redevance payée par Elf-Congo […].

Moi, à ce moment, j’étais en Suisse, et le ministre a pu m’atteindre. J’avais même reçu un appel de Pierre-Yves Gilleron, alors conseiller de Lissouba, disant que Moungounga allait m’appeler. [Gilleron (un obligé de Sigolet) est en cheville avec Jacques Monsieur qui fournit à Lissouba des hélicoptères de combat, roquettes, missiles et bombes. Entre le 23 juin et le 28 septembre, Monsieur va adresser douze factures au directeur de la Fiba Pierre Houdray]. Et je reçois […] deux fax, que j’ai transmis de suite à Houdray. À l’époque, j’étais conseiller financier de Lissouba : je n’avais pas à refuser cette demande. […] Il est possible que j’aie pu mettre “Vu” […]. Généralement, je mets “vu” avec mon paraphe. […] Qui a détourné [ces fax] […] ? Les a-t-on dérobés à la Fiba [mystérieusement cambriolée dans la nuit du 9 au 10 mars 2000] ?

Il fallait payer les factures [d’armes] Matimco […] en Autriche, au bénéfice de la société Joy Slovakia.

Fin juillet, les responsables congolais m’interrogeaient déjà sur la possibilité de monter un préfinancement sur du brut. Moungounga a été le premier à m’en parler. Les Congolais viennent me voir au mois d’août. […] Ils avaient besoin d’une enveloppe de 50 millions de dollars. Ma préoccupation était de savoir le nombre de barils dont ils disposaient. Ils m’ont indiqué qu’il s’agissait de 10 000 barils/jour, qui pourraient éventuellement être portés à 15 000 par la suite [750 000t/an] […]. J’ai préparé un contrat de brut classique, ignorant qui serait l’acheteur. Je l’ai rédigé en blanc. […]

Nous nous sommes revus une seconde fois en septembre, réunion au cours de laquelle ils feront clairement référence à la situation militaire du pays. Le nom “Darrow” est celui de l’off-shore créée pour l’opération, dont je ne connais pas l’ayant-droit économique. À ma connaissance, ce préfinancement ne s’est jamais réalisé, mais il sera proposé en fin 1997, et même 1998, par Pascal Lissouba, qui disait être toujours le président de la République en titre. Avec le recul, je crois que [si Jacques Monsieur avait en main ce contrat,] c’était pour se faire payer les armes qui avaient été livrées. J’imagine. On m’a parlé de 40 millions de dollars d’armes… ». (Jack SIGOLET, ex-président de la FIBA et bras droit d’André Tarallo. Interview au Soir du 07/07/2001).

[Cet interview est la suite du différend Monsieur/Sigolet, le premier faisant au second du chantage pour se faire payer (cf. Billets n° 91). Entré aux finances d’Elf en 1962, Sigolet est l’un des inventeurs du préfinancement pétrolier. Ici, il minimise son rôle. L’engrenage pétrole-armes-Elf-dette est pourtant mis à nu. Sigolet savait qu’il finançait l’un des camps de la guerre civile, et que d’autres comptes d’Elf finançaient l’autre bord.

Au sujet de Pierre-Yves Gilleron, ex-officier de la DST et ancien protégé de Gilles Ménage à l’Élysée, un familier des relations franco-congolaises suggère une expression imagée : à Brazzaville, « il avait un pied dans chaque pirogue ». « Sigolet consacre désormais la majorité de son activité à l’Angola » (Le Soir, 07/07/2001). Voilà qui rassure sur l’avenir de ce pays].

« Pierre-Yves Gilleron vient me voir à la mi-98 et me fait rencontrer Monsieur dans un hôtel parisien, le Sofitel-Défense. À ce moment, mon mandat de conseiller auprès de la République du Congo avait été renouvelé [auprès du vainqueur de Lissouba, Sassou Nguesso], et Gilleron le savait : lui-même avait un mandat avec Pierre Oba [ministre de l’Intérieur de Sassou]. […].

Le 9 décembre 1998, au Noga-Hilton de Genève, je rencontre Gilleron, […] Monsieur [et deux de ses associés. Monsieur réclame 14,8 millions $ de factures impayées]. Je connais au préalable la position d’Oba : on verse 5 millions de dollars pour solde de tout compte.

[…] [J’avais subi auparavant] un conditionnement psychologique : on a fait brûler ma voiture. […] L’explosion s’est passée devant chez moi, à Vaucresson. […] Puis une deuxième voiture a sauté : celle de mon épouse. Cela s’est passé dans le Midi, le 2 septembre 1999, à côté de Sainte-Maxime.

[…] Le 30 juin 1999, à l’échéance, seuls trois millions [de dollars sur cinq] avaient été versés. Les deux autres ont été payés plus tard, l’un au premier semestre 2000, l’autre en décembre 2000 ou janvier 2001. […] Entre-temps, j’ai gardé un certain nombre de contacts avec Gilleron, jusqu’en juillet 2000. [La lettre de chantage de Monsieur ?] Gilleron me l’a montrée la veille même de notre deuxième rencontre au Noga, en juillet 2000 ». (Jack SIGOLET, ibidem).

[Un univers impitoyable].

« En tant que directeur financier de la Sofineg [une financière suisse d’Elf], j’avais à payer un certain nombre de factures de vols d’un avion Falcon-50 basé à Genève […] [et géré par] Aeroleasing. […] Aeroleasing s’est porté acheteur [de cet avion d’Elf]. […] Le montage était le suivant : un prêt était accordé par la société offshore “Cloé” à la Société de Banque Suisse, qui reprêtait à Aeroleasing. Le montant était de 3 millions de francs suisses. Ceci a été autorisé […] par le président Jaffré et Mme Gomez. Com-plè-te-ment ». (Jack SIGOLET, ibidem).

[Que de complications et de secret pour cacher l’exploitation d’un avion ! Et le nom de ses passagers ? Que de commissions aussi, sans doute, à chacun de ces prêts et re-prêts ! Com-plè-te-ment autorisées, cela va de soi].

Extrait de Billets d’Afrique et d’Ailleurs N° - -

Billets d’Afrique et d’Ailleurs est la revue mensuelle éditée par Survie.

Publié avec l’aimable autorisation de l’Association Survie.

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