Les sages décident du sort de Cahuzac et des contours de la lutte contre la fraude fiscale

Vendredi 24 juin 2016

Les sages décident du sort de Cahuzac et des contours de la lutte contre la fraude fiscale

Le Conseil constitutionnel doit définir s’il est possible d’imposer aux fraudeurs des sanctions fiscales et de les traîner devant les tribunaux.

Source AFP Publié le 24/06/2016 à 00:00 | Le Point.fr

Le compte en Suisse caché de Jérôme Cahuzac est à l’origine du plus grand scandale politique du quinquennat de François Hollande.

La fraude fiscale dans la ligne de mire des sages. Le Conseil constitutionnel doit rendre vendredi une décision dont dépendent à la fois le destin judiciaire de l’ancien ministre Jérôme Cahuzac et les contours de la lutte contre la fraude fiscale en France. Les sages devront dire s’il est possible, dans certains cas bien définis, d’imposer aux fraudeurs des sanctions fiscales et de les traîner, en plus, devant les tribunaux.

Pour les avocats de l’ancien ministre du Budget, à l’origine du plus grand scandale politique du quinquennat, la réponse est non : ce serait contraire au principe de la « nécessité des peines », consacré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

La fraude fiscale, un délit qui mérite d’être poursuivi

Au-delà de Jérôme Cahuzac, la sentence du Conseil constitutionnel intéresse aussi les héritiers de la riche famille de marchands d’art Wildenstein, qui avaient été les premiers à poser une « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) en janvier. Les procès Wildenstein comme Cahuzac, suspendus à la décision des sages, reprendront dans tous les cas, dès septembre pour le second.

Mais si le Conseil constitutionnel décide d’appliquer strictement une jurisprudence qu’il a lui-même posée en mars 2015 dans une affaire boursière, les millionnaires et l’ancien ministre ne seront plus jugés pour la fraude fiscale « simple », mais seulement pour les délits plus graves qui leur sont reprochés, notamment le blanchiment.

Lors de l’audience du 7 juin, les avocats des héritiers Wildenstein et de Jérôme Cahuzac n’ont eu de cesse de clamer que leur objectif n’était pas d’obtenir une quelconque impunité pour les fraudeurs. « On a caricaturé en disant mais on est en train de sonner le glas des poursuites pénales ! (…) On revient au trafic des indulgences ! », avait ironisé Me Emmanuel Piwnica. « Faux ! La fraude fiscale est un délit qui mérite d’être poursuivi », s’était insurgé l’avocat. « Poursuivi », oui, mais pas « doublement » pour la défense. Or les époux Cahuzac, qui tous deux risquent une condamnation pénale, ont déjà accepté un redressement fiscal majoré, de 2,3 millions d’euros.

État de récidive

Les héritiers Wildenstein se voient, eux, réclamer plus de 500 millions d’euros par le fisc, en plus d’être jugés pour une fraude vaste et complexe, pimentée de rancœurs familiales.

Face au Conseil constitutionnel, le représentant du gouvernement avait tenté de démontrer que les sanctions, si elles s’ajoutent, ne se confondent pas. Il avait ainsi défendu le caractère « exemplaire » et public du procès, propre à effrayer les contribuables indélicats, loin des négociations couvertes par le secret fiscal.

Autre argument : un juge peut prendre en compte d’éventuelles complicités et un état de récidive, là où le fisc n’applique qu’un traitement plus ou moins automatisé, à base de majorations forfaitaires. Si la personnalité de Jérôme Cahuzac domine le traitement médiatique de ces austères QPC, le gouvernement joue également gros avec cette décision, qui pourrait redessiner les contours de la lutte contre la fraude fiscale.

Chasse aux fraudeurs

Depuis le séisme provoqué par les aveux de l’ancien ministre sur son compte caché, l’exécutif fait la chasse aux fraudeurs en jouant justement sur les deux tableaux : celui du traitement fiscal et celui de la menace pénale. Le ministère des Finances a ouvert une « cellule de régularisation » auprès de laquelle les fraudeurs apeurés peuvent, en toute discrétion, venir déclarer leurs avoirs. Mais le gouvernement a aussi agi sur le front de la répression pénale en créant le parquet national financier, chargé de traquer la délinquance financière de haut vol.

Et l’argent rentre, d’abord parce qu’il est rapatrié volontairement. En 2015, le service de « régularisation » a permis au fisc d’engranger 2,65 milliards d’euros de recettes, dont 900 millions d’euros d’amendes et de pénalités. Ensuite, dans une moindre mesure, à force de procès.

En avril 2015, l’héritière de la maison de couture Nina Ricci avait été condamnée en première instance à de la prison ferme et à un million d’euros d’amende pour avoir dissimulé sa fortune sur des comptes en Suisse. Arlette Ricci a fait appel, mais la justice attend la décision du Conseil constitutionnel pour la rejuger.

Revenir en haut