Mon peuple meurt : la croisade d’un roi tribal nigérian contre Shell

Mardi 22 novembre 2016

Mon peuple meurt : la croisade d’un roi tribal nigérian contre Shell

Londres - Emere Godwin Bebe Okpabi brandit une bouteille en plastique remplie d’eau croupie : la preuve, pour ce chef tribal, de la pollution qui ravage le delta du Niger et pour laquelle il est venu chercher justice à Londres.

Si j’ouvre cette bouteille, toute la pièce va sentir le pétrole. Cette eau, mon peuple la boit, lance le roi de la communauté Ogale, dans une interview accordée à l’AFP dans les bureaux de ses avocats au centre de la capitale britannique.

Portant une tenue traditionnelle et coiffé d’un haut de forme, il est venu à Londres pour assister à partir de mardi à une audience devant la Haute Cour.

Pendant trois jours, les représentants légaux de plus de 40.000 Nigérians vont demander des comptes au géant pétrolier Shell qu’ils tiennent responsable des fuites d’oléoducs ayant détruit leurs terres et pollué leurs étangs.

Les gens de ma communauté sont frappés par des maladies étranges. Certains souffrent de maladies de la peau ou d’infertilité. D’autres meurent subitement, s’émeut le roi Okpabi qui porte autour du cou un imposant collier rouge. J’ai les moyens d’acheter de l’eau minérale. Mais pas pour tout le monde, ajoute-t-il.

Le groupe anglo-néerlandais estime qu’un éventuel procès contre sa filiale nigériane SPDC devrait être organisé au Nigeria où les faits se sont déroulés, et non en Europe.

Mais pour le roi Okpabi, la justice britannique représente le dernier espoir de mettre fin à la pollution qui tue son peuple.

  • ’Le Nigeria, c’est Shell’ -

Shell, c’est le Nigeria, autant que le Nigeria, c’est Shell. Jamais vous n’allez gagner contre Shell devant un tribunal nigérian. La vérité, c’est que le système judiciaire nigérian est miné par la corruption, tonne-t-il.

De la justice britannique, le chef tribal attend qu’elle contraigne Shell à accepter les conclusions d’une enquête de l’ONU qui avait pointé en 2011 les ravages de la pollution pétrolière dans l’Ogoniland, la région où vit la communauté Ogale.

J’aimerais que la Haute Cour dise (à Shell) : allez là-bas pour nettoyer, allez là-bas pour apporter de l’eau et offrir les soins médicaux nécessaires ! Allez-y et voyez, maintenant !, s’anime le leader de la communauté Ogale.

Tout l’or du monde, dit-il, ne suffirait pas pour réparer les dégâts qui, selon l’ONU, pourraient nécessiter l’opération de nettoyage la plus vaste jamais entreprise au monde, d’une durée de 25 à 30 ans.

Mais le roi veut réparation. Mon peuple meurt !, insiste-t-il.

Plus grand producteur de pétrole du Nigeria, Shell conteste les accusations des communautés Ogale et Bille qui sont représentées par le cabinet londonien Leigh Day, spécialiste des recours collectifs.

  • ’Sabotage’ -

Bille et Ogale sont deux régions durement touchées par le vol de pétrole, le sabotage des oléoducs et le raffinage illégal qui restent les principales sources de pollution dans le Delta du Niger, avance une porte-parole du groupe.

Elle ajoute que la filiale SPDC n’a plus extrait de pétrole ni de gaz dans l’Ogoniland depuis 1993.

Mais le roi Okpabi rappelle que le pétrole continue à traverser sa région dans de vieux oléoducs qui fuient et que Shell doit en assumer la responsabilité.

SPDC indique fournir de l’eau et des soins aux communautés et soutenir un programme gouvernemental de nettoyage à hauteur d’un milliard de dollars.

Le roi Okpabi croit le président nigérian Muhammadu Buhari sincère lorsqu’il dit vouloir s’attaquer au problème. Mais si on attend que le système se mette en place, cela risque d’être trop tard pour la population d’Ogale, déplore-t-il.

Les attaques contre des oléoducs et les sabotages se sont multipliées cette année dans le Delta du Niger. Tout en condamnant ces actes, Okpabi insiste sur l’impératif pour Shell d’écouter ceux dans notre communauté qui agissent sans violence.

En janvier 2015, au terme d’une bataille juridique de trois ans, Shell avait accepté de verser plus de 80 millions de dollars à 15.600 pêcheurs de Bodo, une autre communauté nigériane touchée par deux importantes fuites de pétrole en 2008.

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AFP / 22 novembre 2016 07h41)

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