Un magistrat français dénonce la justice monégasque

Samedi 16 juin 2007

Un magistrat français dénonce la justice monégasque

De notre envoyé spécial à Monaco STÉPHANE DURAND-SOUFFLAND.

Publié le 16 juin 2007

Actualisé le 16 juin 2007 : 08h31

Au procès du scandale financier Hobbs-Melville, le juge Hullin a dénoncé des pressions, menaces et intimidations. Et fustigé une justice aux ordres.

DEHORS, l’orage gronde sur la Méditerranée. À l’intérieur du palais de justice, derrière les vitraux armoriés, la lumière des lustres vacille. Dans le dos des trois magistrats, un gigantesque crucifix ; face à eux, mêlé au public, mais on ne voit que lui, le garde des Sceaux de Monaco. Voici donc la cour d’appel prise en sandwich entre deux puissances immanentes. Il faut le voir pour le croire…

Et voici que le tonnerre roule aussi à l’intérieur. À la barre, Jean-Christophe Hullin, 44 ans, actuellement juge au pôle financier de Paris. Jadis détaché à Monte-Carlo, il eut à instruire une escroquerie au placement miracle, portant sur quelque 70 millions de dollars. Et il rendit un non-lieu sans équivoque - « je n’ai trouvé aucun élément intentionnel de l’infraction » - en faveur d’un courtier, Jean-Christophe Moroni, alors ami intime du futur Albert II, et d’une quinzaine d’autres commerciaux chargés de recruter les gogos fortunés sans savoir qu’ils seraient dépouillés. M. Moroni, pourtant, sera banni de la principauté et renvoyé en correctionnelle. Condamné en première instance à dix-huit mois de prison ferme, il a fait appel.

« Acharnement »

M. Hullin, donc, a la colère froide et efficace. Sa déposition, tranchante, vaut réquisitoire contre le système judiciaire autochtone. Il passe en revue les pressions dont il affirme avoir fait l’objet. C’est d’abord le commissaire Jean-Yves Gambarini, qui ne cesse, selon lui, de vouloir « charger » M. Moroni, et seulement lui. « On me laissait entendre que le Palais voulait qu’on écarte une mauvaise fréquentation du prince héréditaire », déclare le magistrat, fustigeant ce « fantasme » Grimaldi qui, à ses yeux, pourrit les moeurs judiciaires locales.

La présidente rappelle à la barre le policier, qui avait été entendu en tout début de matinée. Fort embarrassé, il bredouille : « On est dans le délire le plus total… Il n’y a aucun acharnement à l’encontre de Jean-Christophe Moroni, qui avait été mêlé à une affaire de drogue et proche du chef de la camorra locale (Protestations de la défense, qui dénonce, arguments à l’appui, un amalgame des plus caricaturaux). M. Hullin n’étant pas de Monaco, nous lui avons simplement expliqué l’environnement. »

Puis le témoin évoque cet ancien procureur général qui, tel la Pythie du Rocher, annonçait « parfois » les verdicts avant même la tenue des débats. « Cela a été le cas dans l’affaire Ted Maher », condamné à l’issue d’un procès retentissant après la mort du milliardaire Edmond Safra dans l’incendie de son appartement. Mais le meilleur reste à venir : « Depuis quinze jours, accuse le juge Hullin, je reçois menaces, intimidations, insultes. On m’a rappelé que mes enfants étaient encore scolarisés à Monaco. Leur mère aussi a été « amicalement » approchée. Lundi soir, un magistrat français détaché en principauté a fait intrusion dans mon cabinet pour m’annoncer que je serais arrêté ce matin et incarcéré dans le cadre d’un dossier de corruption. J’ai saisi la Chancellerie pour qu’une enquête officielle soit ouverte. »

Me Dupond-Moretti, conseil de M. Moroni : « N’a-t-on pas dit que vous étiez rémunéré par mon client ? »

Le témoin, avec flegme : « Absolument, maître, et par vous, également. »

Le juge se retire. Le ministre monégasque s’était éclipsé depuis longtemps. Derrière la présidente, le Christ de bronze semble pleurer.

© Le Figaro

Publié avec l’aimable autorisation du journal Le Figaro.

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