Un journaliste spécialiste du narcotrafic tué par balle au Mexique

Mardi 16 mai 2017 — Dernier ajout mardi 10 août 2021

Un journaliste spécialiste du narcotrafic tué par balle au Mexique

Mexico (AFP) - Le journaliste mexicain Javier Valdez, spécialiste reconnu du narcotrafic et pigiste pour l’AFP dans l’Etat de Sinaloa, a été assassiné lundi dans la ville de Culiacan (nord-ouest), devenant le cinquième reporter tué au Mexique cette année.

« Ca s’est passé devant les bureaux de Riodoce (…) Il a été attaqué à l’arme à feu », a indiqué à l’AFP une source judiciaire.

Javier Valdez, 50 ans, travaillait depuis de plus de 10 ans pour l’AFP dans l’Etat de Sinaloa, fief du cartel de Joaquin « El Chapo » Guzman, actuellement incarcéré aux Etats-Unis. Ce père de famille était aussi correspondant du quotidien La Jornada et de l’hebdomadaire Riodoce.

Il avait publié plusieurs ouvrages d’investigations sur le narcotrafic, dont un ultime livre l’an dernier intitulé « Narcoperiodismo, la prensa en medio del crimen y la denuncia » (« Narcojournalisme, la presse entre le crime et la dénonciation »), dans lequel il reconnaissait lui-même qu’« être journaliste, c’est faire partie d’une liste noire ».

« A Culiacan, dans le Sinaloa, c’est un danger d’être vivant et faire du journalisme, c’est marcher sur une ligne invisible dessinée par les méchants, ceux qui sont dans le narcotrafic et ceux qui sont au gouvernement », avait-il déclaré en 2011 en recevant le Prix international de la liberté de la presse, décerné par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).

« Il faut se protéger de tout et de tous », avait-il ajouté.

« Il avait parlé aujourd’hui (lundi) à son épouse, il lui a dit de ne pas préparer le repas, qu’il rapporterait un poulet », a raconté son frère Rafael à l’AFP après l’annonce du drame.

« Je lui ai plusieurs fois demandé s’il avait peur. Il me disait que oui, qu’il était humain. Je lui ai demandé alors pourquoi il risquait sa vie et il répondait : +C’est quelque chose que j’aime, que quelqu’un doit faire, il faut lutter pour changer les choses+ », a poursuivi Rafael Valdez.

  • ’Lâche assassinat’ -

Le président mexicain Enrique Peña Nieto a condamné sur Twitter « ce crime indigne » et a réitéré son engagement pour « la liberté d’expression et la presse, fondamentales pour notre démocratie ».

« Nous sommes horrifiés par ce drame et adressons toutes nos condoléances à la famille et aux proches de Javier », a réagi la directrice de l’information de l’AFP Michèle Léridon.

« Faisant preuve d’un extrême courage, Javier enquêtait depuis des années sur les puissants cartels de la drogue au Mexique sans ignorer qu’il le faisait au péril de sa vie », a-t-elle ajouté. « Nous demandons aux autorités mexicaines de faire toute la lumière sur ce lâche assassinat ».

« Bien entendu, les activités que menait Javier ont une répercussion sur les pistes de l’enquête », a commenté le procureur de l’Etat de Sinaloa, Juan José Rios Estavillo. "Nous voulons surtout à présent assurer la sécurité du journal, de l’hebdomadaire, et particulièrement de sa famille".

Sa dernière collaboration avec l’AFP portait, il y a 10 jours, sur la guerre interne actuellement en cours au sein du cartel de Sinaloa après l’extradition de son puissant chef, Joaquin « El Chapo » Guzman.

Le mois de mars a été particulièrement sombre pour les reporters au Mexique, avec trois journalistes abattus et un autre blessé grièvement. Face au manque de sécurité, le quotidien Diario Norte, basé à Ciudad Juarez (nord), a cessé de paraître.

L’année 2016 avait été marquée par un nombre record de 11 journalistes exécutés, alors que le Mexique figure au troisième rang des pays les plus dangereux pour les journalistes après la Syrie et l’Afghanistan, selon Reporters sans frontières (RSF).

  • ’Chaque fois ça devient pire’ -

Les assassinats de journalistes ont fortement augmenté depuis 2006 au Mexique, année où le gouvernement a déployé l’armée dans le pays pour lutter contre le narcotrafic. Depuis cette date, il se commet entre trois et 10 homicides de journalistes par an, selon l’ONG Articulo 19.

« C’est violent et chaque fois ça devient pire, mais quelqu’un doit faire le job, non ? » commentait il y a peu Javier Valdez lors d’une conversation avec l’AFP sur le quotidien d’un journaliste.

Les efforts du gouvernement pour lutter contre cette situation "ont été insuffisants et la lutte pour rétablir la justice a échoué de façon spectaculaire", a dénoncé début mai le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).

Dans son rapport intitulé « Pas d’excuse : le Mexique doit briser la spirale de l’impunité en matière d’assassinats de journalistes », l’ONG déplore que le système judiciaire mexicain « soit dysfonctionnel et débordé », ce qui fait que les crimes restent impunis.

L’exercice de la profession de journaliste est particulièrement risqué dans l’Etat de Veracruz (est), où s’affrontent les cartels du Golfe et des Zetas : selon RSF, c’est la région la plus dangereuse d’Amérique latine pour les journalistes, avec 19 assassinats entre 2000 et 2016.

Revenir en haut