Saisie de biens russes en France : l’imbroglio Ioukos continue

Mardi 27 juin 2017 — Dernier ajout mardi 10 octobre 2017

Saisie de biens russes en France : l’imbroglio Ioukos continue

Actualité Société

Par AFP , publié le 27/06/2017 à 18:39 , mis à jour à 20:15

Paris - L’imbroglio judiciaire dans l’affaire Ioukos se poursuit : la justice française a repoussé mardi une décision très attendue qui aurait pu avoir un impact sur les saisies d’actifs russes opérées par les ex-actionnaires de la compagnie pétrolière en France.

Elle a en revanche débloqué 300 millions d’euros de dettes d’Arianespace auprès de l’agence spatiale russe, saisis par les anciens actionnaires de Ioukos, ce qui avait mis en péril la coopération spatiale franco-russe.

Le dossier Ioukos, saga judiciaire hors norme au regard des montants en jeu, empoisonne les relations entre Paris et Moscou, déjà compliquées par les dossiers syrien et ukrainien.

L’affaire est au départ russo-russe : les ex-actionnaires de Ioukos réunis au sein d’une société basée à Gibraltar, GML, accusent la Fédération russe d’avoir orchestré en 2003-2004 le démantèlement de la compagnie pétrolière pour anéantir les ambitions politiques de son propriétaire, l’oligarque et opposant au Kremlin Mikhaïl Khodorkovski.

En juillet 2014, un tribunal arbitral à La Haye leur donne raison, condamnant Moscou à un dédommagement record de 50 milliards de dollars (44,7 milliards d’euros).

Six mois plus tard, un juge français décide que cette sentence est applicable en France, autorisant de facto les ex-actionnaires à saisir des actifs russes sur le territoire pour obtenir réparation. La Russie fait appel.

Dans son arrêt, la cour d’appel de Paris ne tranche pas et décide de reconvoquer les parties le 23 novembre. D’ici là, elle les invite « à présenter leurs observations sur l’opportunité de soumettre à la Cour de justice européenne » (CJUE) de Luxembourg d’éventuelles questions sur l’applicabilité du traité sur la charte de l’énergie (TCE) dans l’affaire Ioukos.

Ce traité est au cœur du bras de fer entre Moscou et GML : la Fédération de Russie, qui l’a signé mais jamais ratifié, soutient qu’il ne peut lui être opposé en l’espèce, ce que contestent les ex-actionnaires.

« En proposant de saisir la CJUE, la cour d’appel de Paris confirme la pertinence des questions soulevées depuis 2005 » par Moscou, a estimé Andrea Pinna, avocat de la Fédération de Russie.

Nous sommes « déterminés à obtenir justice afin que l’expropriation la plus brutale de l’histoire contemporaine ne reste pas impunie », a souligné de son côté Tim Osborne, directeur général de GML.

L’enjeu en France est financier : GML avait saisi pour plusieurs centaines de millions d’euros d’actifs russes dans l’Hexagone.

S’il avait dû renoncer à s’emparer du terrain de la cathédrale orthodoxe de Paris, il avait notamment réussi à bloquer la participation russe dans la chaîne d’informations Euronews et 300 millions d’euros dus par Arianespace à l’agence spatiale fédérale Roscosmos.

Ces opérations avaient provoqué l’ire de Moscou qui, estimant ses intérêts stratégiques menacés, avait multiplié les actions en justice devant les juridictions françaises pour les faire annuler.

Avec succès : la plupart des saisies ont été levées.

  • ’Menaces de représailles’ -

Mais le report de la décision de la cour d’appel risque d’attiser les tensions entre Paris et Moscou.

Dans l’attente de cet arrêt, les ex-actionnaires « peuvent continuer à exécuter les sentences arbitrales en France », a fait valoir Me Emmanuel Gaillard, avocat de GML. En clair, procéder à de nouvelles saisies.

Il assure que « de nombreuses pressions ont été exercées par Moscou sur les autorités françaises menacées de représailles » si les saisies se poursuivaient.

En mars 2015, une note adressée par le ministère des Affaires étrangères russe à ses diplomates en France, dont l’AFP a eu connaissance, évoquait ainsi l’adoption possible par Moscou de « mesures appropriées et proportionnées à l’égard de la République française ».

Reste que pour la Fédération de Russie, la privatisation de Ioukos en 1995 s’est faite en toute illégalité.

En janvier 2017, « un expert mondialement reconnu de la lutte anticorruption, a mis en évidence des +pots-de vin+ de plus de 613 millions de dollars versés par les oligarques à des agents publics russes pour manipuler la privatisation de Ioukos », relève Andrea Pinna, avocat de la Russie. Cette expertise est « totalement » contestée par GML.

L’affaire est loin d’être close. En avril 2016, un tribunal néerlandais a annulé l’arbitrage de juillet 2014, mais la France n’est pas tenue par cette décision. Une cour d’appel néerlandaise doit désormais se prononcer courant 2018 sur la validité de cette sentence arbitrale.

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