« La BNP savait ce qui se passait au Rwanda »

Vendredi 30 juin 2017

« La BNP savait ce qui se passait au Rwanda »

Recueilli par Aurore Duplessis, le 29/06/2017 à 18h01

ENTRETIEN - La banque française BNP Paribas a été visée ce jeudi 29 juin par une plainte portée par trois associations. Elles l’accusent de « complicité de génocide » au Rwanda.

Jacques Morel, ancien mathématicien au CNRS, a rassemblé durant douze ans plusieurs documents sur l’implication de la France au Rwanda. Selon lui, la BNP ne pouvait pas ignorer ce qui se passait.

L’association anticorruption Sherpa, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et Ibuka France ont annoncé qu’elles déposaient jeudi 29 juin une plainte avec constitution de partie civile visant BNP Paribas pour « complicité de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ».

Les associations en question accusent le groupe bancaire d’avoir contribué au financement d’un achat illégal d’armes à destination du Rwanda en juin 1994, malgré un embargo sur les armes voté par l’ONU le 17 mai 1994. Le pays subissait à cette date un génocide des Tutsis qui fera 800 000 morts entre avril et juillet 1994.

Dans son écrit Quand la BNP se prêtait à des achats d’armes pour achever les Tutsi, paru en 2014, Jacques Morel pointe notamment le rôle des entreprises privées comme la BNP Paribas dans le génocide rwandais.

La Croix : Cette plainte au caractère inédit accuse la BNP de « complicité de génocide et de crime contre l’humanité ». Ce mot « complicité » souligne que ce n’est pas intentionnel. Est-ce que l’on peut donc réellement affirmer que la BNP savait ce que se déroulait au Rwanda ?

Jacques Morel : Les accusations sont très largement documentées grâce aux rapports des audiences du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et dans des rapports de la commission d’enquête internationale de l’ONU sur le Rwanda ou d’ONG comme Human Rights Watch.

Il est question ici de deux versements d’argent effectués les 14 et 16 juin 1994, au marchand d’armes sud-africain Petrus Willem Ehlers, un officiel zaïrois et au colonel Bagosora, directeur de cabinet au ministère de la défense rwandais, aujourd’hui en prison après sa condamnation à trente-cinq ans de réclusion par le TPIR pour génocide.

Le compte commanditaire en question est un compte au nom de la Banque nationale du Rwanda. Donc la BNP savait que cette opération était ordonnée par le gouvernement rwandais. Début juin 1994, le génocide des Tutsi est de notoriété publique.

Alain Juppé, ministre des affaires étrangères avait reconnu dès le 18 mai 1994 que les victimes étaient les Tutsi, les assassins des miliciens et des membres des forces gouvernementales rwandaises. Il était aussi connu à l’époque que les miliciens étaient équipés par l’armée gouvernementale rwandaise.

Par ailleurs, la publication de l’Ordre d’opération Amaryllis montre que les autorités françaises savent dès le 8 avril 1994 que le génocide des Tutsi a été commencé à Kigali par la garde présidentielle. Si la banque avait tenu compte de l’embargo de l’ONU, elle se devait d’enquêter sur la destination de ces fonds.

[…] Est-il possible que les proches des victimes obtiennent un jour réparation d’un tel préjudice ?

J.M. : Je voudrais croire que les victimes pourraient obtenir des indemnisations. Nous nous fondons sur le caractère imprescriptible du crime de génocide. La BNP est poursuivie pour complicité, c’est-à-dire pour avoir contribué à fournir des moyens pour commettre le génocide contre les Tutsi.

L’acte de porter plainte a, en lui-même, son importance. Il s’agit de rappeler au gouvernement de notre pays que l’application de la loi Sapin 2, sur le devoir de vigilance des entreprises adoptée en février 2017, est capitale. Encore plus aujourd’hui. Lire la suite.

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