Comment les vendeurs de logiciels espions se cachent et attirent leurs clients

Samedi 9 septembre 2017

Comment les vendeurs de logiciels espions se cachent et attirent leurs clients

Des éditeurs de logiciels, établis pour la plupart dans des paradis fiscaux, ont recours à des méthodes de marketing agressives pour vendre des services à la légalité discutable.

LE MONDE | 09.09.2017 à 17h00 | Par Martin Untersinger

Si vous tapez dans un moteur de recherche « localiser un téléphone » ou « espionner ma femme », impossible de les manquer. Une quinzaine d’entreprises, de tailles variables, proposent à un public français des logiciels espions pouvant être installés sur un téléphone ou un ordinateur, donnant accès à toute l’intimité de la personne visée.

Une activité dans certains cas très lucrative, mais qui se trouve à la frontière de la légalité. Ces entreprises doivent pour la plupart résoudre un paradoxe : comment être sûre d’être repérée et choisie par les internautes désirant espionner leur prochain tout en protégeant au maximum leurs arrières ?

Lire le premier volet de notre enquête sur les logiciels espion domestiques : Le marché florissant et sulfureux des logiciels espions grand public

D’abord, les fabricants de logiciels espions savent que la plupart de leurs clients potentiels veulent les utiliser de manière illégale, et ils ne se privent pas de les y inciter. BIBIspy propose ainsi de « suivre le smartphone de votre partenaire pour lever tout doute sur sa personnalité », mSpy de savoir « si vos employés sont productifs », quand Spystealth promet de « rester informé sur [sic] toutes les actions […] de vos enfants », et Refog de « sécurise[r] les activités des enfants, démasque[r] les épouses [sic] infidèles et améliore[r] la performance de vos employés ».

[…] Des entreprises difficiles à localiser

Est-ce par peur d’éventuelles répercussions légales ? Ou simplement pour payer le moins d’impôt possible ? La plupart des entreprises qui commercialisent ce genre de logiciels sont en tout cas difficiles à localiser.

Les mentions légales de mSpy, le principal acteur de cette industrie, nous apprennent que le logiciel est édité par Altercon, une société domiciliée à Edimbourg, en Ecosse. Mais le curieux qui voudrait voir les salariés d’Altercon à l’œuvre en serait pour ses frais : au registre des sociétés britanniques, elles sont des dizaines à se partager l’adresse de ce modeste bâtiment en béton gris de deux étages. Une simple boîte aux lettres.

Interrogée, une porte-parole de la société répond qu’Altercon est chargée de « traiter les paiements » de mSpy. Selon l’attestation d’enregistrement de l’entreprise, Altercon est un « partenariat limité », un véhicule législatif propre à la Grande-Bretagne qui n’est pas taxé. Seules les deux entreprises qui ont formé Altercon sont imposables. Or ces deux sociétés, Damitra Group Ltd et Lamen Business Ltd, qui ont servi à la création de centaines d’entreprises en Grande-Bretagne, ont déclaré une adresse à Mahé, la capitale des Seychelles. Dans ce paradis fiscal à l’imposition quasi inexistante et où les sociétés offshore sont deux fois plus nombreuses que les habitants, le secret des affaires est garanti.

Un précédent montage juridique donne davantage d’indices sur les créateurs et les gestionnaires de mSpy. L’adresse e-mail de l’entreprise Bitex Group Ltd a été utilisée pour enregistrer le nom de domaine d’un des sites de mSpy. Selon l’annuaire d’entreprises CrunchBase, Bitex Group est bien « un logiciel de surveillance des téléphones et des ordinateurs ». L’entreprise a d’ailleurs déposé en mars 2014 la marque mSpy. Interrogée, une porte-parole confirme que Bitex Group est bien la société mère de mSpy. Selon les données d’enregistrement du site de Bitex Group, l’entreprise est établie aux Seychelles, à une adresse où cohabitent de nombreuses sociétés citées dans les Panama Papers.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/09/09/comment-les-vendeurs-de-logiciels-espions-se-cachent-et-attirent-leurs-clients_5183412_4408996.html#ppDBChbmxvL6MObZ.99

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