Comment un village ougandais tente d’empêcher les pétroliers de saisir ses terres

Lundi 11 septembre 2017

Reportage

Comment un village ougandais tente d’empêcher les pétroliers de saisir ses terres

La ruée sur l’or noir à l’ouest du pays, y compris des Français de Total ou de Colas, une filiale de Bouygues, provoque des expulsions par milliers.

Par Gaël Grilhot (contributeur Le Monde Afrique, Kampala)

LE MONDE Le 10.09.2017 à 19h00

Le chemin discret s’enfonce au milieu des champs de maïs pour déboucher dans une petite clairière où quelques cabanes sont encore visibles. C’est dans ce camp de fortune que pendant plus de deux ans et demi, les 205 familles, soit plus de mille personnes, du petit village de Rwamutunga ont tenu bon, après leur expulsion. « La vie ici était pénible. Nous avons vécu de travaux occasionnels, cherchant de la nourriture ou un peu de monnaie », se souvient George, un habitant du village. « Au moins dix-huit personnes dans le camp sont mortes en raison des privations pendant cette période », ajoute-t-il.

Nous sommes dans la région de Hoima, au cœur de l’Ouganda, non loin des futurs champs pétrolifères qui devraient permettre au pays d’entrer d’ici à 2020 dans le cercle des Etats producteurs. Total, la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) ou encore Colas (filiale de Bouygues) y sont engagés dans de grands travaux d’infrastructures. Raffinerie, pipeline, et même aéroport international : le développement lié à l’extraction et au transport de l’or noir est porteur de beaucoup d’espoir pour le pays.

A Rwamutunga, les terres prévues pour héberger un centre de traitement des déchets pétroliers ont ainsi été accaparées par un gros propriétaire local, Joshua Tibagwa. Profitant des faiblesses du système d’enregistrement des terres, il s’est déclaré propriétaire de toute la zone et fait ordonner l’expulsion du village. « C’était en août 2014, explique George. La police et les militaires sont venus au petit matin, et nous ont tous forcés à quitter nos maisons, se souvient-il. Ceux qui se sont opposés ont été battus. Les maisons ont été brûlées, saccagées. »

Mais la brutalité de l’intervention n’entame pas la solidarité des villageois. Aidés par des autorités locales et des ONG, ils avertissent les médias nationaux et se font assister par des avocats qui défendent leur cause devant la cour de Masindi, capitale du district du même nom. « Nous avons également reçu le soutien du député Daniel Muheirwe Mpamizo, qui a plaidé notre cause devant le Parlement », poursuit George. L’affaire est devenue nationale, et éminemment politique, dans un pays où la population est à 80 % rurale.

[…] Difficile d’obtenir des chiffres exacts, mais au moins 15 000 personnes auraient déjà été expulsées dans la région. Un vieux militant estime que ce chiffre pourrait même atteindre les 50 000. « Souvent, poursuit Richard Orebi, les compensations prévues mettent des années à arriver, ce qui plonge les habitants dans des situations très difficiles. Parce que, sans la terre, vous ne pouvez pas vous nourrir, ni payer les frais de scolarité de vos enfants. Ici, la terre, c’est la vie. »

Des difficultés qui risquent de s’accroître. Le président Museveni a en effet débuté, lundi 4 septembre une campagne, via les radios locales, pour promouvoir un projet d’amendement de la Constitution, qui vise à faciliter et à accélérer les procédures d’expulsion en cas de travaux d’intérêt public.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/09/10/comment-un-village-ougandais-tente-d-empecher-les-petroliers-de-saisir-ses-terres_5183652_3212.html#bfUXRcwdoC4pI9Wl.99

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