Un pouvoir Total

Mercredi 13 septembre 2017 — Dernier ajout mercredi 8 novembre 2017

Un pouvoir Total

Faim et Développement (CCFD) – Août 2017

Philosophe québécois, auteur de Offshore et Noir Canada, Alain Deneault revient en France avec un essai intitulé « De quoi Total est-elle la somme ? Multinationales et perversion du droit ». En retraçant l’histoire de la firme, il met en lumière le véritable pouvoir qu’elle incarne, en flirt permanent avec la loi. En avril dernier il était de passage en France à l’invitation de l’association Survie.

L’ouvrage est épais. L’histoire complexe. Raconter Total c’est raconter tout un monde. Il aura bien fallu trois ans à l’auteur québécois, pourtant rodé à l’exercice, pour sortir un essai intelligible au plus grand nombre. « De quoi Total est-elle la somme ? » est une véritable plongée dans les méandres de la multinationale, souvent présentée comme « une entreprise pétrolière et gazière française privée ». L’auteur préfère la définir comme un « réseau d’entités coordonné par un conseil d’administration et un actionnariat apatride constituant un véritable pouvoir ». Les chiffres font tourner la tête : en 2017, Total est une firme composée de 882 sociétés actives dans 130 pays, pour un chiffre d’affaires annuel tournant autour des 200 milliards d’euros.

En 500 pages, le philosophe raconte, chiffre, cite, analyse ce que représente l’une des plus grandes multinationales de la planète. Avec une méthode choc : douze verbes à l’infinitif, chacun faisant l’objet d’un chapitre. Comploter, coloniser, collaborer, corrompre, conquérir, délocaliser, pressurer, polluer, vassaliser, nier, asservir, régir sont autant de coups de poing dans l’esprit du lecteur. S’il se défend de n’avoir pas fait un ouvrage à charge contre Total, il dit souhaiter « faire une halte critique à tout ce qu’elle met dans nos têtes, faire prendre conscience de ses nombreuses responsabilités dans la marche du monde et repenser l’action des multinationales au 21e siècle ».

La philosophie pour décrypter les paradis fiscaux

[…] En parallèle de ses recherches, Alain Deneault côtoie François-Xavier Verschave au début de la décennie 2000, membre fondateur de Survie en 1984, l’association de lutte contre la Françafrique. « Très rapidement, mes échanges avec Verschave m’ont amené à me poser des questions sur des stratégies liées à la criminalité financière et économique permettant à des dictateurs de détourner des fonds publics liés à l’exploitation du pétrole et à la rente pétrolière. » De ces échanges, quelques années plus tard, naîtra notamment Noir Canada : Pillage, corruption et criminalité en Afrique (2008). À la fin des années 90 déjà, le Québécois co-fonde au Québec l’antenne locale d’Attac, pour « réfléchir sur un mode critique au déploiement de la mondialisation économique face à l’émergence des paradis fiscaux ». « Ce qui m’est apparu c’est à quel point nous sommes dans une mondialisation où chaque Etat, en tant que générateurs de contraintes, permet aussi aux puissants de contourner lesdites contraintes. » Le fisc, les règles administratives qui prévalent dans un appareil d’Etat, la réglementation dans le domaine de l’assurance, les lois d’encadrement de l’industrie minière ou de l’exploitation en eaux profondes du pétrole sont susceptibles d’être contournés. Pendant quelques années Alain Deneault analyse ce phénomène sur le plan conceptuel[1] avant de s’intéresser particulièrement au Canada autour du secteur minier. Il écrira trois ouvrages sur cette question[2]. Devenu expert sur le sujet, Alain Deneault explique que le Canada aménage sa fiscalité et sa réglementation pour accompagner l’essor de l’industrie minière et la protéger sur le plan judiciaire.

« Le cas de Total est en effet éclairant : cette société est devenu un pouvoir, voire une instance souveraine qui n’est pas réductible aux États. » Lire la suite.

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