L’Afrique soumise à la raison des affaires

Vendredi 29 juin 2007 — Dernier ajout mardi 27 janvier 2015

L’Afrique soumise à la raison des affaires

François-Xavier Verschave, janvier 2001

L’écœurante affaire angolaise montre que la raison d’Etat ne camoufle plus rien.

La « Françafrique », la politique française en Afrique, prônait la raison d’Etat avec des méthodes de voyous, ceux qui les ont appliquées sont devenus des voyous qui font chanter la République.

A l’examiner, le scandale des ventes d’armes à l’Angola n’est pas si « démoralisant » que ça. Au contraire, il pourrait éclairer notre boussole politique, nous aider à préciser ce que nous refusons et ce que nous voulons, à l’ère où s’intensifient et s’accélèrent les connexions internationales. Les rideaux de fumée se dissipent devant l’action des réseaux franco-africains. Cette caricature de relations méprisantes se branche désormais sur la dynamique la plus destructrice de la mondialisation. Ces réseaux, richissimes et archicorrupteurs, s’avèrent capables de vendre à grande échelle des biens et services de guerre, avec armes et mercenaires, aux deux côtés d’une guerre civile (au moins 500 000 morts en Angola). Elf et les différents réseaux présents y soutenaient à la fois le camp gouvernemental et la rébellion. Chaque réseau a sa microstratégie, fluctuante, dont il prétend qu’elle sert la France. Le préfet Jean-Charles Marchiani a tout bonnement avoué aux enquêteurs : « Nous, c’est-à-dire moi pour le compte de Charles Pasqua, avons négocié publiquement avec le président Dos Santos l’aide politique et économique de l’Angola à l’action de la France dans cette partie de la région, qui s’est concrétisée par l’envoi de troupes dans les deux Congo. » Cet accord global a donc engagé notre pays dans trois guerres civiles (deux au Congo, après l’Angola). Jean-Charles Marchiani a enfoncé le clou dans une récente interview : « A sa façon, M. Falcone a défendu les intérêts français dans la région. » L’Angola va devenir le plus gros producteur de pétrole africain. L’armée de cette dictature prédatrice s’avère une pièce maîtresse. Secrètement équipée par Paris, à hauteur de 4 milliards de francs, elle concourt à deux horribles guerres civiles : au Congo-Brazzaville (au moins 50 000 morts, plusieurs dizaines de milliers de viols, une série de crimes contre l’humanité) et au Congo-Kinshasa (plus d’un million de victimes, avec la misère induite). Où est la « nouvelle politique africaine de la France » ? Qui décide de ce genre d’« intérêts français » pétromeurtriers ? Pas les Français ni le Parlement, peut-être pas le Premier ministre… Plutôt la « Françafrique ».

J’ai exhumé ce terme en 1994 des antiques discours de l’ex-président ivoirien, Houphouët-Boigny pour tenter d’expliquer comment la France était capable de faire en Afrique l’inverse exact de sa devise républicaine, jusqu’à se faire complice du génocide rwandais. Le concept désigne la face immergée de l’iceberg des relations franco-africaines. En 1960, l’histoire accule de Gaulle à accorder l’indépendance aux colonies d’Afrique noire. Tout en proclamant cette nouvelle légalité internationale, immaculée, il charge son conseiller pour les affaires africaines, Jacques Foccart, de maintenir la dépendance, par des moyens forcément illégaux, occultes, inavouables. Il sélectionne des chefs d’Etat « amis de la France », par la guerre (plus de 100 000 civils massacrés au Cameroun), l’assassinat ou la fraude électorale. A ces gardiens de l’ordre néocolonial, il propose un partage de la rente des matières premières et de l’aide au développement. Les bases militaires, le franc CFA convertible en Suisse, les services secrets et leurs faux nez (Elf et de multiples sociétés) complètent le dispositif.

C’est parti pour quarante ans de pillage, de soutien aux dictatures, de coups fourrés, de guerres secrètes, du Biafra aux deux Congo. Le Rwanda, les Comores, la Guinée-Bissau, le Liberia, la Sierra Leone, le Tchad, le Togo… en conserveront longtemps les stigmates. Ne pouvant plus promettre un mieux-être, les dictateurs usés, boulimiques, dopés puis minés par l’endettement, ont dégainé l’arme ultime, le bouc émissaire : « Si je reste au pouvoir, avec mon clan et un discours ethniste, c’est pour barrer la route à vos ennemis de l’autre ethnie. » On connaît la suite. La criminalité politique est entrée en synergie avec la criminalité économique.

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