Dick Marty, des convictions aiguisées au service des droits de l’homme

Jeudi 19 janvier 2006 — Dernier ajout dimanche 1er juillet 2007

SUISSE : Dick Marty, des convictions aiguisées au service des droits de l’homme

Date de parution : Jeudi 19 janvier 2006

Auteur : Denis Masmejan

PROMOTION. Déjà rapporteur spécial sur l’affaire des prisons de la CIA, le conseiller aux Etats tessinois va présider la délégation suisse auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, une enceinte vouée aux libertés.

Dick Marty, l’homme qui monte au Conseil de l’Europe. A sa fonction - exposée - de rapporteur spécial sur la question des prisons secrètes de la CIA et de président, depuis le mois de novembre, de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire de l’organisation de Strasbourg, le conseiller aux Etats tessinois vient d’ajouter un nouveau rôle.

Il a été élu mercredi à Bâle président de la délégation suisse auprès de ladite Assemblée. Composée d’élus au parlement fédéral, la délégation compte six membres et autant de suppléants.

Dick Marty remplace le socialiste zurichois Andreas Gross. La démocrate-chrétienne Rosmarie Zapfl, zurichoise aussi, est la nouvelle vice-présidente.

A soixante et un ans, Dick Marty est donc en train d’imposer sa marque dans une organisation dont la défense des droits de l’homme constitue aujourd’hui la principale raison d’être.

Le service du droit et des valeurs qui sous-tendent les lois d’un Etat démocratique semble avoir toujours été la grande affaire du Tessinois. Celui qui croit profondément que la guerre contre le terrorisme ne peut pas se gagner au prix d’un sacrifice des libertés fondamentales aurait pu finir juge au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Il avait en tout cas fait acte de candidature, aux côtés de deux autres Suisses, mais Berne n’avait obtenu aucun siège.

Il y a bientôt vingt ans que Dick Marty a déboulé dans l’actualité suisse. En 1987, 100 kilos d’héroïne sont saisis à Bellinzone. Alors procureur du Sopraceneri (la partie nord du canton du Tessin), Dick Marty va s’illustrer dans cette affaire qui restera sous le nom de « Lebanon Connection » et dont l’un des rebondissements mettra en évidence les liens entre Hans W. Kopp et la Shakarchi Trading SA. Avec les suites que l’on sait pour l’épouse de Me Kopp, Elisabeth.

Né au Tessin, Dick Marty a étudié le droit à l’Université de Neuchâtel. Après un séjour de plusieurs années au Max Planck Institut de Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, le juriste soutient une thèse de doctorat sur « Le rôle et les pouvoirs du juge suisse dans l’application des sanctions pénales ». Les prisons, déjà.

Désormais au bénéfice d’une notoriété nationale après l’affaire de la « Lebanon Connection », Dick Marty décide de se lancer en politique. En 1989, il entre au Conseil d’Etat tessinois sous les couleurs du Parti radical-libéral et prend le Département des finances. En 1995, il quitte le gouvernement cantonal pour le Conseil des Etats. L’année suivante, il prend la présidence de Suisse Tourisme.

« Forte personnalité », « aussi intelligent que droit », « grande expérience politique et judiciaire », ses collègues au parlement fédéral lui reconnaissent de précieuses qualités, qui font de lui un parlementaire très écouté. Esprit libre et indépendant, il l’est tellement que, parfois, « il ne prend pas le temps de débattre quand il n’est pas d’accord ». Sa collègue de parti Françoise Saudan regrette par exemple son envolée en plénum contre la révision de la législation sur l’asile et les étrangers, alors qu’il n’avait rien dit en séance de groupe de ses intentions de se désolidariser de la majorité. Ce n’est pas la seule fois, d’ailleurs, que Dick Marty est amené à défendre des positions qui le placent à la gauche de son parti, jusqu’à le mettre en porte-à-faux. Il s’était ainsi opposé au frein à l’endettement.

Les reproches de passivité qu’il a adressés au Conseil fédéral sur l’affaire de la CIA n’ont pas bien passé non plus auprès de nombre de parlementaires jugeant que le gouvernement, en l’absence de preuves, ne pouvait pas en faire publiquement davantage.

Homme de principes, tenace mais solitaire, Dick Marty doit sans doute une partie de ses traits de caractère à une enfance marquée par une quasi-cécité jusqu’à l’âge de six ans. « Cela a probablement conditionné mon caractère, mon développement, reconnaissait-il dans une longue interview publiée en 1996 par Le Nouveau Quotidien. Grâce à un professeur de Saint-Gall, j’ai récupéré la moitié de ma vue et cela m’a peut-être donné le goût de relever certains défis. Je me souviens qu’à l’école où je ne distinguais rien sur le tableau noir, je m’asseyais au dernier banc pour me forcer à suivre la leçon sans voir le tableau. »

Comment Dick Marty se tirera-t-il de sa mission extraordinairement délicate sur les prisons secrètes de la CIA ? Le Tessinois semble s’être rapidement rendu compte que, malgré les protestations officielles contre les turpitudes tout à fait vraisemblables de la CIA sur le sol du Vieux Continent, les gouvernements européens n’allaient pas forcément lui apporter une aide déterminante pour établir les faits. Le Tessinois l’a déjà expliqué à plusieurs reprises : il compte notamment sur le climat qui entoure l’affaire pour que certaines langues se délient. Après tout, aux Etats-Unis, les fuites semblent bien provenir de la CIA elle-même, où les méthodes utilisées dans la lutte contre le terrorisme islamique sont loin de faire l’unanimité.

CIA : comment la Suisse a évité la crise

Ron Hochuli

La Roumanie a demandé des comptes. Mais les esprits se sont calmés.

Les diplomates ont sué depuis la publication du fax intercepté par le renseignement helvétique sur les prisons de la CIA. Au lendemain de la révélation, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) avouait que « cette fuite pourrait avoir de graves conséquences sur la diplomatie helvétique ». Aujourd’hui, il semble que, sur le plan interétatique, l’affaire ait fait moins de vagues que prévu. Du moins, en attendant d’hypothétiques explications de Washington sur le transit d’avions de la CIA par la Suisse.

Dès le lundi 9 janvier, soit au lendemain de la parution du fameux document, le DFAE a pris contact avec tous les pays concernés. A commencer par les Etats-Unis : Michael Ambühl s’est entretenu la semaine dernière avec l’ambassadrice américaine à Berne, Pamela Willeford. En déléguant cet entretien à son secrétaire d’Etat, Micheline Calmy-Rey souhaitait « ramener l’ampleur de l’affaire à sa juste dimension », confie-t-on dans son département. Et si Berne s’est manifestement « fait tirer les oreilles », Washington « ne semble pas nourrir de rancune ».

Les affaires étrangères égyptiennes ont également eu droit à des explications. Les quotidiens nationaux ont brièvement évoqué le fax. Toutefois, personne n’en a fait une affaire d’Etat. Berne pourrait avoir bénéficié des faveurs du calendrier : au Caire, en période sainte – semaine de pèlerinage à La Mecque –, les mondes politique et médiatique auraient tourné au ralenti.

Enfin, le DFAE a pris langue avec les autorités roumaines, bulgares, ukrainiennes, kosovares et macédoniennes. Autant d’Etats qui auraient, selon le fax, abrité des lieux d’interrogatoires secrets. Là aussi, la communication a visiblement payé. Cependant, des comptes ont été demandés à la représentation helvétique à Bucarest. En effet, alors même que le gouvernement roumain dément toute présence de prison secrète sur son territoire, le parlement roumain a ouvert une enquête. Et la Suisse a été sommée de lui transmettre les informations à sa disposition, a confirmé au Temps l’ambassade de Roumanie à Berne. « Mais comme nous ne savons rien de plus, cela règle le problème », conclut une source du DFAE.

Précision du 20 janvier 2006 Le Temps

Bucarest n’a pas « sommé » Berne de s’expliquer, comme nous l’avons écrit. Mais c’est la responsable de l’enquête parlementaire qui a prié la délégation suisse à Bucarest de lui fournir les informations en sa possession.

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