Enquêtes pour corruption en France : les entreprises ont-elles du souci à se faire ?

Samedi 9 décembre 2017

Enquêtes pour corruption en France : les entreprises ont-elles du souci à se faire ?

Par AFP — 8 décembre 2017 à 07:07

Lafarge, Airbus, Veolia, HSBC : les enquêtes et procédures judiciaires se multiplient en France contre les entreprises soupçonnées de malversations. Comment s’explique cette évolution et que peut-on en attendre ? Etat des lieux, à la veille de la journée mondiale anticorruption.

La justice est-elle plus active contre la corruption ?

Pour Marc-André Feffer, président de Transparency international France, la multiplication des procédures visant des entreprises pour des motifs de corruption ou de fraude montre que la justice a pris ce problème à bras-le-corps et que « les choses progressent ».

La justice française, ces dernières années, a été épinglée à plusieurs reprises, par l’OCDE ou par des ONG, en raison de son supposé « laxisme » vis-à-vis des grandes entreprises sur les sujets de fraude et de corruption internationale. Or en la matière, le vent semble avoir tourné.

En novembre, HSBC a ainsi été la première entreprise à accepter en France une transaction pénale, fixée à 300 millions d’euros, pour solder une affaire de fraude fiscale. En parallèle, les procédures pour corruption se sont multipliées, impliquant des dirigeants haut placés, comme Tom Enders, patron d’Airbus, ou Bruno Laffont, ancien PDG de Lafarge, en garde à vue depuis mercredi pour les activités du groupe en Syrie.

« On sent que les choses s’accélèrent » même s’il s’agit pour l’instant « de simples enquêtes, dont on ne sait pas quels seront les résultats », souligne Jacky Coulon, secrétaire national de l’Union syndicale des magistrats (USM). « Aujourd’hui, l’étau se resserre », ajoute-t-il.

Comment s’explique ce phénomène ?

La France a récemment renforcé son arsenal anti-corruption, avec tout d’abord la mise en place en 2014 du Parquet national financier, chargé notamment d’enquêter sur les atteintes à la probité (corruption, trafic d’influences, égalité d’accès aux marchés publics, favoritisme).

En 2016, elle a aussi adopté la loi Sapin II, destinée en particulier à empêcher que les entreprises françaises ne soient condamnées à l’étranger : plusieurs groupes, dont Alstom, sont en effet tombés ces dernières années sous le coup de la justice américaine qui, en vertu de lois à portée extra-territoriale, leur a infligé de lourdes amendes.

Ce texte a notamment créé l’Agence française anti-corruption (AFA), et introduit la convention judiciaire d’intérêt public, ou « transaction pénale », qui permet aux entreprises coupables de faits de corruption de payer une amende plutôt que de subir une condamnation pénale.

Désormais, « la justice est mieux armée », estime Marc-André Feffer. « Il était temps », ajoute-t-il.

Au-delà de ce dispositif juridique, ce sont les mentalités qui ont changé. « Aujourd’hui, il y a les lanceurs d’alerte, internet, les réseaux sociaux », observe Patrick Widloecher, membre du Cercle d’éthique des affaires. « Plus rien ne reste caché très longtemps ».

Comment réagissent les entreprises ?

Pour s’éviter des poursuites, plusieurs grands groupes ont décidé de prendre les devants, en développant des mesures internes de prévention. Une pratique devenue d’ailleurs obligatoire au 1er juin 2017 pour les entreprises de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à un million d’euros.

Parmi les règles qui s’imposent à elles, la mise en place de procédures comptables pour s’assurer que des faits de corruption ne soient pas masqués, la formation des cadres et personnels les plus exposés à ces risques, et l’instauration de dispositifs d’alerte pour recueillir des signalements.

C’est l’Agence française anticorruption qui est chargée de contrôler la mise en œuvre de ces plans. En cas de manquement, des sanctions allant jusqu’à un million d’euros sont prévues.

Selon M. Widloecher, « entre 1.500 et 1.600 entreprises » sont concernées. « Il y a des entreprises qui sont prêtes, et d’autres qui partent de zéro, y compris des grandes », indique-t-il.

Toutes sont conscientes cependant de la nécessité de s’adapter à cette nouvelle donne. « Les grandes entreprises font preuve de plus de maturité et mesurent mieux les risques qu’elles encourent », souligne M. Feffer.

Va-t-on vers une éradication de la corruption ?

« Dire qu’on va éradiquer la corruption, c’est utopique. Mais on peut espérer la voir reculer sensiblement », estime Jacky Coulon, pour qui le renforcement de la prévention, allié à une politique répressive plus efficace, est de nature « à faire changer les mentalités ».

« On sent qu’il n’y a plus la même tolérance. Donc on peut être optimiste », abonde Marc André Feffer. Pour le responsable de Transparency, « rien n’est cependant gagné », la lutte contre la corruption étant « un combat permanent ».

AFP

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