Roberto Saviano : « Les responsables politiques font affaire avec les organisations criminelles »

Dimanche 4 mars 2018

Roberto Saviano : « Les responsables politiques font affaire avec les organisations criminelles »

07h00 , le 4 mars 2018 INTERVIEW

Roberto Saviano, écrivain spécialiste des mafias, auteur de Gomorra et militant pro-européen, réagit au meurtre du journaliste slovaque Jan Kuciak dont les obsèques ont eu lieu samedi.

Spécialiste de la mafia, l’auteur italien Roberto Saviano s’est confié au JDD après le meurtre du journaliste Jan Kuciak, qui enquêtait sur la corruption des élites slovaques avec la puissante Ndrangheta. "Je suis découragé, car il est évident que l’on n’a pas peur de tuer les journalistes. Le silence sur ces affaires vaut de l’or. Il vaut plus que l’indignation ou que les démissions d’un homme politique, car le journaliste photographie une pratique.« Il demande aux pays et institutions européennes »de ne jamais éteindre les projecteurs sur le journalisme d’investigation« . Et de comprendre que »là où il n’y a pas d’effusion de sang, mais des investissements, des capitaux et un financement public sans contrôle, il y a là de hautes probabilités de trouver une infiltration de la mafia."

Quelle est votre réaction après le meurtre de Jan Kuciak en Slovaquie ? Je suis découragé, car il est évident que l’on n’a pas peur de tuer les journalistes. Nous devrions nous demander pourquoi chaque fois qu’un journaliste meurt – c’est arrivé en Italie de nombreuses fois, cela arrive continuellement au Mexique, en Russie avec Anna Politkovskaya, à Malte avec du Daphne Caruana Galizia, en Géorgie avec Antonio Russo en 2000 - après quelques jours de deuil, après beaucoup de larmes et de colère, ceux-ci restent vulnérables. La réponse met à nu une réalité tragique : les politiques font affaire avec les organisations criminelles, surtout en temps de crise. Et le silence sur ces affaires vaut de l’or. Il vaut plus que l’indignation ou que les démissions d’un homme politique, car le journaliste photographie une pratique.

Comment la Ndrangheta a-t-elle réussi à s’installer dans ce pays à la frontière orientale de l’Europe ? Dans les années qui ont suivi la chute du mur de Berlin, les organisations criminelles se sont déplacées en masse dans les pays d’Europe de l’Est. Ce qui les intéressait, c’était la conquête de terrains immenses, qui manquaient de tout, avec un éparpillement des financements. Les mafias sont des organisations agiles, dépourvues de règles, avec du liquide disponible de manière presque illimitée. La Slovaquie est attractive car c’est un pays périphérique, loin de la lumière et de l’attention, avec une absence d’organisations criminelles locales. La Ndrangheta, fermée et monopolistique, ne partage pas facilement ses affaires avec d’autres.

Que peuvent faire de plus les pays européens et les institutions comme Europol contre le crime organisé ? Ne pas éteindre jamais les projecteurs sur le journalisme d’investigation. Et comprendre vraiment que là où il n’y a pas d’effusion de sang, mais des investissements, des capitaux et un financement public sans contrôle, il y a là de hautes probabilités de trouver une infiltration de la mafia.

Par Camille Neveux Suivre @camille

Source le JDD.

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