L’intouchable Pinochet pourrait être touché au portefeuille

Jeudi 25 août 2005 — Dernier ajout jeudi 12 juillet 2007

L’intouchable Pinochet pourrait être touché au portefeuille

La Cour suprême étudie à partir d’aujourd’hui la levée de son immunité.

Par Claire MARTIN

mercredi 25 août 2004 (Liberation - 06:00)

Santiago de notre correspondante

L’ancien dictateur Augusto Pinochet pourrait finalement être confronté à la justice de son pays. S’il paraissait jusqu’ici intouchable, il semble être cette fois en mauvaise posture. Visé par une enquête menée au Chili sur ses comptes secrets ­ à la banque américaine Riggs pour un montant de 4 à 8 millions de dollars (3,2 à 6,4 millions d’euros) ­, il pourrait en outre voir son immunité levée ces prochains jours dans une affaire de droits de l’homme. Car, si l’ancien général a renoncé à sa fonction de sénateur à vie en juillet 2002, il est encore protégé par une immunité spéciale que lui a octroyée le Parlement pour avoir été président, autoproclamé, du Chili entre 1973 et 1990.

Plan Condor. Aujourd’hui, la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays, commence à examiner l’arrêt de la cour d’appel de Santiago, qui a levé, le 28 mai, l’immunité de l’ancien général contre toute attente. La cour d’appel a estimé à 14 voix contre 9 que l’ancien chef d’Etat et commandant en chef de l’armée de terre avait une pleine connaissance des actions menées par ses services secrets (la Dina) dans l’opération dite « Condor ». Un plan mis en place dans les années 70 par les dictatures sud-américaines (Brésil, Paraguay, Uruguay, Bolivie, Argentine et Chili) qui visait à coordonner leurs services secrets pour éliminer leurs opposants. Si la Cour suprême confirme cet arrêt, un procès pourrait alors être ouvert contre le vieux caudillo de 88 ans.

« Démence légère ». L’arrêt de la cour d’appel marque un revirement judiciaire. En juillet 2002, la Cour suprême avait en effet estimé que l’ancien dictateur ne pouvait assurer sa défense au cours d’un procès pour cause de « démence légère ». Depuis, pour cette raison, deux demandes de levée d’immunité avaient été rejetées par la cour d’appel. Cette fois elle n’a pas invoqué l’argument de santé : les avocats des droits de l’homme expliquent ce revirement par des preuves attestant de la bonne santé de l’ancien général. Et notamment par un entretien qu’il a accordé en 2003 pendant plus d’une heure à une chaîne de télévision américaine de Miami. L’enregistrement, présenté à la cour, montre un vieillard lucide. « Si le général Pinochet est capable de répondre aux questions d’une journaliste, remarque Francisco Bravo, avocat plaignant, cela signifie qu’il n’est ni fou, ni dément, et qu’il peut donc être interrogé par le juge. »

Un argument qui pourrait être renforcé par un scoop révélé vendredi par l’hebdomadaire chilien Siete + 7. Le juge d’instruction Sergio Muñoz, chargé de l’enquête sur les comptes secrets de la Riggs (Libération du 24 juillet), aurait interrogé Augusto Pinochet le 6 août, pendant moins d’une heure, à son domicile de Santiago. Si l’événement a de quoi surprendre ­ c’est la première fois que Pinochet se soumet volontairement à un interrogatoire ­, selon « des sources proches de l’instruction et du général à la retraite », il aurait répondu comme « une personne plutôt lucide » pour son âge, affirme l’hebdomadaire. Un argument que les avocats des droits de l’homme ne manqueront pas d’ajouter à leur plaidoirie devant la Cour suprême.

« La démarche de Sergio Muñoz, explique l’avocat Eduardo Contreras, est en complète contradiction avec la décision antérieure de la Cour suprême, qui disait que Pinochet ne pouvait être interrogé par un juge. Dans ces circonstances, refuser de lever l’immunité de l’ancien dictateur, c’est affirmer que Pinochet est sain quand il vole, et fou quand il tue. » Et d’ajouter : « Si la Cour suprême ne se déjuge pas, ce sera un scandale, signifiant qu’elle aura subi les pressions de l’armée, des grands chefs d’entreprise et de la droite, qui ont tout intérêt à ce que rien ne filtre du côté des violations des droits de l’homme, et ont, en cela, toujours soutenu leur caudillo. »

Austérité et probité. Car, du côté de l’enquête menée sur les millions amassés par l’ancien dictateur, Pinochet apparaît de plus en plus isolé. L’austérité et la probité que lui-même et son entourage politique ont toujours revendiquées sont plus que mises en doute. Si la défense du général parle de « donations privées » et d’« économies personnelles », les plaintes déposées en juillet évoquent la corruption, le détournement de fonds et la fraude fiscale. Or la mise en cause de l’ancien dictateur pourrait toucher du même coup tous ceux qui ont participé au régime militaire. « Autrement dit, une grande partie de la droite et de ce qu’elle porte, observe le journaliste Rafael Otano. Les succès économiques qui continuaient de justifier la dictature aux yeux de la droite sont eux aussi écornés. Les pinochétistes prennent donc le large, d’autant que les élections municipales et présidentielle se rapprochent. Beaucoup pensent en effet qu’en termes d’image un Pinochet qui a volé est pire qu’un Pinochet qui a tué. »

Et, si pour l’instant les comptes douteux n’ont pas encore vraiment touché judiciairement l’ancien dictateur, toute sa famille est sur la sellette du juge d’instruction Sergio Muñoz. Et aucun d’entre eux ne bénéficie de l’immunité.

© libération

Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

Visitez le site du journal Libération.

Revenir en haut