EXCLUSIF. Les mails secrets de l’affaire Lafarge qui impliquent le renseignement français

Dimanche 23 décembre 2018

EXCLUSIF. Les mails secrets de l’affaire Lafarge qui impliquent le renseignement français

00h00 , le 22 décembre 2018, modifié à 13h26 , le 23 décembre 2018

Le cimentier Lafarge, mis en examen pour financement du terrorisme, a été encouragé à rester en Syrie par un service de renseignement français. Le JDD révèle des messages inédits.

En apparence, tout est simple. Le groupe cimentier Lafarge, géant du CAC 40 à la réputation mondiale, aurait coopéré en Syrie avec l’organisation État islamique (EI) pour préserver ses intérêts industriels et son chiffre d’affaires. Telle est, en tout cas, la conclusion provisoire de l’enquête judiciaire ouverte en France depuis 2016. Soupçonné d’avoir versé, entre 2012 et 2014, plusieurs millions de dollars à des groupes armés liés à Daech, le groupe a été mis en examen au mois de juin pour « financement d’une entreprise terroriste » et « complicité de crime contre l’humanité ». Huit de ses cadres sont poursuivis à titre personnel, tous ont été écartés et la maison mère franco-suisse, LafargeHolcim, a déploré publiquement « ce qui s’est passé dans [sa] filiale syrienne ».

Les pièces du dossier et les témoignages des rares initiés qui acceptent d’en parler dessinent une réalité autrement floue. Et les documents inédits auxquels le JDD a eu accès permettent de reconstituer une autre histoire, qui n’exonère pas les dirigeants de Lafarge mais qui implique également le contre-espionnage français et le Quai d’Orsay, alors que ceux-ci se sont efforcés de faire prévaloir devant la justice le scénario d’un dérapage non contrôlé, sans doute plus commode pour éluder des opérations camouflées dans une région hautement sensible.

Voici quelques extraits de cette enquête à retrouver dans le JDD :

Des conversations écrites trahissent une relation autorisée, validée. Comme le 15 mai 2013, lorsque le directeur de la sûreté de Lafarge, Jean-Claude Veillard transmet un tableur Excel énumérant une dizaine de brigades actives dans la région de l’usine, avec les noms des chefs, leurs numéros de portables syriens et turcs, leurs adresses électroniques, parfois leurs liens familiaux. La plupart d’entre eux contrôlent des check-points aux alentours.

Commentaire de AB, l’un des agents : « Je suis estomaqué, comment avez-vous fait pour obtenir ce genre d’infos ? Je pense que c’est exploitable. » Peu après, les agents de la DGSI réfléchissent à la manière de présenter cette belle trouvaille à leur hiérarchie, qui est ainsi informée de ce partenariat officieux. « Puis-je mettre que cette liste est établie dans l’objectif de sécuriser vos transactions et votre site ? », questionne l’officier de renseignement – le mot « transaction » est sans équivoque. Réponse de Lafarge : « Oui, nous nous appuyons sur ce réseau pour continuer à opérer et à gérer les différents incidents […]. Pas de soucis vis‑à-vis de la hiérarchie. »

Au fil de mois, bien que les forces kurdes contrôlent un large périmètre autour de la cimenterie, son activité dans une zone désertée par la plupart des entreprises attire les convoitises et entraîne des dénonciations. Jean-Claude Veillard s’en inquiète. Le 22 janvier 2014, il confie à la DGSI : « Le fonctionnement de l’usine ­implique des relations avec les ­antagonismes locaux. Des informations négatives sur Lafarge ont été entendues sur les radios du Moyen-Orient. Mon objectif serait de vous rencontrer afin d’évaluer quel pourrait être le niveau d’exposition de notre siège et de nos dirigeants à Paris. »

Un déjeuner a lieu quatre jours plus tard. À ce stade, ces professionnels du renseignement savent bien comment on se déplace et comment on travaille en Syrie, surtout dans une région où l’essentiel des échanges s’effectue en argent liquide (­salaires, dépenses courantes, etc.). Dans l’un des courriels, on découvre d’ailleurs qu’un homme assure pour Lafarge la coordination de ces remises d’enveloppes dans le chaos syrien : « Un agrément a été signé entre les belligérants et l’usine par l’intermédiaire du bureau de Firas Tlass à Manbij. » Lire la suite.

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Par Guillaume Dasquié

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