Génocide au Rwanda : une note confidentielle contredit la version française

Mercredi 6 février 2019

Génocide au Rwanda : une note confidentielle contredit la version française

De l’attentat contre le président rwandais Habyarimana aux ventes d’armes illégales, la cellule investigation de Radio France et Mediapart révèlent de nouveaux éléments sur le génocide contre les Tutsis, qui a fait près d’un million de morts, à l’été 1994.

[…] 80 tonnes d’armes en plein génocide

L’ombre de Théoneste Bagosora, parfois surnommé « le Himmler du Rwanda », on la retrouve également dans le cadre de l’enquête ouverte en septembre 2017 contre la banque BNP Paribas, pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité, suite à la plainte des associations Sherpa, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda et Ibuka. Une instruction menée par les juges français Alexandre Baillon et Stéphanie Tacheau.

La banque est soupçonnée d’avoir contribué au financement d’un achat illégal d’armes à destination du Rwanda, en juin 1994, deux mois après le déclenchement du génocide. Et cela malgré un embargo sur les armes voté par les Nations unies, un mois plus tôt. Quatre-vingts tonnes d’armes auraient ainsi été livrées depuis les Seychelles, jusqu’à Goma, au Zaïre, à proximité de la frontière rwandaise.

[…] Le compte CHEATA en pleine lumière

Mais les flux financiers parlent à sa place.

Pour l’aider à acheter des armes, en plein embargo, le colonel Bagosora peut compter sur un sulfureux intermédiaire sud-africain : Petrus Willem Ehlers. Cet ancien secrétaire particulier de Pieter Willem Botha (Premier ministre d’Afrique du Sud de 1978 à 1984 puis président de 1984 à 1989 durant l’apartheid), joue un rôle clé dans cette livraison d’armes illégales, grâce à un compte bancaire suisse ouvert le 14 octobre 1993.

Les commissions rogatoires lancées par les juges français auprès des autorités suisses ayant enquêté sur le sujet dans les années 90 établissent de manière formelle que Petrus Willem Ehlers a bien utilisé son compte (baptisé CHEATA) à l’Union bancaire privée (UBP) à Lugano, en Suisse, afin de recevoir l’argent correspondant à ces achats d’armes. Comme le montre la documentation fournie par l’UBP, le 14 juin 1994, le compte de l’intermédiaire sud-africain est crédité de 592 784,21 dollars, provenant de la Banque nationale du Rwanda (BNR).

Deux jours plus tard, le 16 juin 1994, le même compte est crédité de 734 099,87 dollars. De l’argent ensuite transféré sur un compte de la Banque centrale des Seychelles.

Des relevés bancaires fournis aux autorités suisses par l’UBP de Lugano démontrent également que la Banque nationale de Paris (BNP) a bien validé ces deux paiements sur lesquels enquête aujourd’hui la justice française.

Contactée, BNP Paribas n’a pas souhaité réagir. Lorsque nous avions sollicité la banque en septembre 2017, lors de l’ouverture de l’information judiciaire, elle nous avait fait la réponse suivante : « Il s’agit de la suite mécanique et obligatoire dans le cadre d’un dépôt de plainte de ce type. Cela ne constitue en aucun cas un développement nouveau. Ce sont des faits très anciens datant de 1994. La banque informe qu’elle n’a pas eu communication de la plainte annoncée par voie médiatique, et qu’elle n’en connait donc pas la substance. Dans ces conditions, il n’est pas possible de commenter plus avant. »

[…] Le « bras financier » des génocidaires

Afin de mieux éclairer le contexte dans lequel s’est effectué cet achat d’armes, et d’évaluer la connaissance de BNP Paribas sur les risques d’une telle transaction financière, à l’époque, les magistrats français ont également entendu Jacques Simal.

Cet ancien responsable de la BBL (Banque Bruxelles Lambert), a été détaché à la Banque commerciale du Rwanda (BCR) jusqu’en avril 1994, avant de rentrer en Belgique pour diriger « la cellule de crise » de la banque avec le Rwanda. Son témoignage est éclairant.

Jacques Simal raconte comment les extrémistes hutus ont cherché par tous les moyens à mettre la main sur de l’argent frais, après le déclenchement du génocide, notamment par le biais du gouverneur de la Banque nationale du Rwanda. La même banque utilisée en juin 1994 pour acheter 80 tonnes d’armes, livrées depuis les Seychelles… « Le gouverneur [de la Banque nationale du Rwanda] était une personne très impliquée politiquement avec le pouvoir, je pense à tendance Hutu power [les extrémistes hutus], ce sont des choses que l’on m’a dites à l’époque, explique Jacques Simal au juge Alexandre Baillon qui s’est déplacé en Belgique, le 6 février 2018. Il est à l’origine de tentatives de prélèvements de fonds à la BCR [Banque commerciale du Rwanda] au profit de la banque nationale. Il avait exigé que tous les fonds des banques privées soient rapatriés à la BNR puisqu’en fait, concrètement, le gouvernement intérimaire [soutien des génocidaires] estimait que la BNR était son bras financier. La BNR considérait que les devises détenues par les banques privées lui appartenaient. Pour ma part, je me suis opposé à ces tentatives de prélèvements, à partir du moment où j’agissais à Bruxelles. » Lire la suite.

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