Fin de partition pour le juge Van Ruymbeke : « aujourd’hui, les affaires ne sont plus étouffées »

Samedi 29 juin 2019 — Dernier ajout lundi 23 septembre 2019

Fin de partition pour le juge Van Ruymbeke : « aujourd’hui, les affaires ne sont plus étouffées »

AFP Publié le 28/06/2019 à 10:29 | AFP

Kerviel, Karachi, Cahuzac… L’emblématique juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke a incarné la lutte contre les fraudes et la corruption en se confrontant souvent aux hautes sphères du pouvoir. A l’heure de la retraite, ce magistrat mesure les progrès réalisés. Mais « il n’y a jamais eu autant d’argent sale ».

Les dossiers de ce juge discret et fuyant les caméras sont au contraire tumultueux et médiatiques et comptent des politiques de tous bords, des escrocs à la TVA, le polémiste Dieudonné ou encore le patron du PSG.

Reconnaissable à son éternelle moustache, Renaud Van Ruymbeke, bientôt 67 ans dont 42 ans de service et à la retraite vendredi, s’est retrouvé malgré lui dans le cercle restreint des magistrats connus du grand public.

De ses débuts à Caen au pôle financier de Paris, « ce fut un parcours tout sauf paisible, semé d’embûches, mais je n’ai jamais renoncé », raconte dans un entretien à l’AFP le juge, pianiste à ses heures, qui se décrit comme un « besogneux » à l’« intelligence moyenne ».

« J’ai commencé dans une période où l’on ne traitait pas des dossiers politico-financiers, cela n’existait pas », témoigne ce fils d’un haut fonctionnaire énarque.

« Vacciné » à 27 ans

A Caen, le jeune juge plonge dans le chaudron en 1979 en enquêtant sur le ministre du Travail de droite Robert Boulin. Quelques mois plus tard, ce dernier meurt dans des circonstances troubles. Dans des lettres posthumes, dont la véracité sera ensuite contestée par sa famille, le ministre accuse Van Ruymbeke, d’avoir voulu « faire un carton ».

A 27 ans, le voilà déjà « vacciné ». « Pendant 30 ans on m’agresse, mais je ne veux faire que mon travail ».

« Juge rouge » pour la droite, il est la bête noire de l’ère Mitterrand quand il perquisitionne en 1992 le PS, « une première », dans l’affaire de financement occulte Urba.

Deux ans plus tard, il est « bloqué » par le parquet qui « refuse » d’élargir son enquête à des soupçons inquiétant l’ex-ministre du gouvernement Balladur, Gérard Longuet, qui bénéficiera d’un non-lieu. « Les procureurs n’ont pas toujours été indépendants, j’ai eu beaucoup de conflits avec les parquets », souligne-t-il.

Avec les années 2000, il est cette fois pris dans les filets de l’affaire Clearstream et se retrouve accusé d’avoir rencontré hors procédure en 2004 un ancien dirigeant du groupe de défense EADS, Jean-Louis Gergorin, qui craignait de témoigner officiellement.

Or, Gergorin se révélera être un « corbeau » de l’affaire, vaste dossier de dénonciation calomnieuse dont avaient été victimes plusieurs personnalités, dont Nicolas Sarkozy, scandalisé qu’un juge se soit « allié », selon lui, aux manipulateurs. Il assure aujourd’hui « n’avoir jamais eu de règlements de comptes avec lui ou un autre ».

Menacé pendant 6 ans par une procédure disciplinaire au Conseil supérieur de la magistrature, il en sortira blanchi mais durablement blessé. « Le pouvoir politique a voulu me tordre le cou », affirme-t-il.

« Ilots noirs »

Aujourd’hui, « la donne a changé ». « Les affaires ne sont plus étouffées. Les parquets sont plus indépendants mais pas statutairement, car ils restent liés au garde des Sceaux », observe-t-il.

Au moment de passer le témoin, il appelle la jeune génération à « aller plus loin » contre « les injustices » causées par la grande délinquance financière : « Il n’y a jamais eu autant d’argent sale », s’alarme-t-il.

Vingt-trois ans après avoir été une voix de l’appel de Genève pour lutter contre « l’Europe des paradis fiscaux », la « prise de conscience » est là, mais « il reste beaucoup à faire » tant selon lui « l’ingéniosité des grands fraudeurs est illimitée à l’international ».

Le sujet l’enflamme : « tant que vous aurez des îlots noirs qui ne coopèrent pas ou font semblant, l’argent de la drogue, de la corruption et de la fraude fiscale circulera, hors d’atteinte du juge ».

« Il faut faire pression sur les pays qui assurent l’impunité comme le Liban, Dubaï ou Israël », réclame-t-il. Se définissant comme « républicain européen », il met en garde aussi contre « les nationalismes » qui menacent « la justice internationale ».

Selon lui, toutes ces difficultés « discréditent la justice et entretiennent un sentiment d’inégalité, qui peut générer une situation explosive et créer des mouvements comme ceux des gilets jaunes ».

Rattraper « une vie » au piano

La page tournée, le doyen des juges d’instruction de Paris assure qu’il ne cédera pas aux charmes de la politique contrairement à d’autres avant lui mais il compte bien « partager son expérience ».

Alors qu’il s’activait encore il y a quelques jours à boucler le dossier de corruption au sommet de la fédération internationale d’athlétisme, il part « en mission » lundi en Bosnie, pays qui frappe aux portes de l’UE et veut perfectionner sa lutte antifraude.

Cet amateur de la série judiciaire « Engrenages » a surtout « toute une vie » à rattraper au piano. Entre une partition et « les montagnes de dossiers », il y a, selon lui, « une même exigence de rigueur ».

28/06/2019 10:27:23 - Paris (AFP) - © 2019 AFP

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