En cinq ans, le parquet national financier s’est imposé dans le paysage judiciaire français

Mardi 2 juillet 2019

En cinq ans, le parquet national financier s’est imposé dans le paysage judiciaire français

AFP Modifié le 02/07/2019 à 08:06 - Publié le 02/07/2019 à 07:54 | AFP

Conçu comme une « force de frappe » contre la grande délinquance financière, le parquet national financier (PNF) s’est imposé en cinq ans dans le paysage judiciaire français et s’apprête à changer de tête, après le départ de sa patronne historique Eliane Houlette.

« Frauder l’impôt, c’est voler la nation. C’est refuser de contribuer à l’effort commun pour assurer la sécurité de tous, l’éducation de tous, la santé pour tous. C’est, au fond, refuser le pacte social » : c’est ainsi qu’Eliane Houlette mesurait, le 14 septembre 2016, la gravité du manquement de Jérôme Cahuzac en requérant une peine de trois ans ferme contre l’ancien ministre du Budget, qui avait un compte caché à l’étranger.

C’est de ce retentissant scandale qu’est né le PNF. Entré en fonction en février 2014, le jeune parquet est l’arme majeure du nouvel arsenal antifraude, avec notamment la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et l’Office central de lutte anticorruption.

Parfois décriée comme une juridiction d’exception à la botte du pouvoir, l’institution a peu à peu fait taire les plus critiques. « Création aventureuse, ovni… on a tout entendu. Cela n’a pas été simple, mais j’ai le sentiment que le PNF s’est installé dans le paysage judiciaire », estime Eliane Houlette, 65 ans.

A la veille de sa retraite, dans un bureau encore encombré de dossiers, la procureure, réputée aussi minutieuse que rigide, a consenti à un rare échange avec la presse.

Elle avance avec plaisir ses résultats : la lutte contre les atteintes à la probité, aux finances publiques et aux marchés a rapporté « deux milliards d’euros » - « Je ne compte que les peines définitives, donc pas l’amende (record) de 3,7 milliards infligée à UBS », numéro 1 mondial de la gestion de fortune qui a fait appel de sa condamnation en février pour blanchiment aggravé.

Le PNF compte aujourd’hui 37 personnes, dont 18 magistrats, qui gèrent plus de 530 dossiers.

A son tableau de chasse figurent les condamnations de l’ancien bras droit de Nicolas Sarkozy Claude Guéant ou du vice-président de Guinée équatoriale Teodorin Obiang. Mais aussi de grandes banques comme la filiale suisse de la Britannique HSBC, qui a accepté en 2017 de payer 300 millions d’euros pour éviter un procès pour blanchiment.

« Le droit comme une arme »

Eliane Houlette ne verra pas l’épilogue du procès pour blanchiment du baron des Hauts-de-Seine Patrick Balkany, mais aura eu la satisfaction de voir validé le renvoi en correctionnelle pour corruption de l’ex-président Nicolas Sarkozy, une première sous la Ve République.

Son dossier le plus marquant fut l’affaire Fillon. Elle reconnaît n’avoir pas mesuré et avoir mal vécu « la déferlante médiatique » qui suivit l’ouverture fin janvier 2017 d’une enquête préliminaire sur les soupçons d’emploi fictif de l’épouse du candidat de la droite à la présentielle.

« Je me suis attachée à qualifier les faits, c’est tout. Sans aucune considération politique. Je n’ai été soumise à aucune pression », se défend-elle, tout en plaidant pour un parquet statutairement totalement indépendant.

Son principal combat fut de porter la lutte sur le terrain planétaire car l’échange automatique de données bancaires, validé par plus de 80 pays en 2018, ne fait pas tout.

« Certains pays n’ont pas du tout le même droit que nous, ce qui rend la coopération parfois compliquée », dit-elle, citant la Suisse où « n’existe pas le délit de fraude fiscale ». Cela reste « difficile avec la Chine » mais s’est amélioré avec le Panama.

« Dans la compétition des économies nationales, le droit est utilisé comme une arme », relève-t-elle. « Il y a toujours des circuits organisés pour contourner l’impôt. La mondialisation, la facilité des échanges et l’anéantissement des frontières facilite tout cela. »

Un constat que partage le juge Renaud Van Ruymbeke, qui se félicite de la création prochaine d’un parquet européen : « Il faut d’abord faire le ménage chez soi en Europe et mettre la pression sur les pays qui ne coopèrent pas, comme Dubaï ou Israël », a affirmé à l’AFP le juge d’instruction, lui aussi sur le départ.

Pour succéder à Eliane Houlette, la chancellerie semble privilégier Jean-François Bohnert, procureur général à Reims, s’il n’obtenait pas la tête du nouveau parquet européen. D’autres noms circulent, dont ceux de la directrice des douanes judiciaires Nathalie Becache ou du procureur général de Bastia Franck Rastoul. En attendant, l’intérim sera assuré par Muriel Fusina, chef du département des affaires économiques et financières au parquet général de Paris.

02/07/2019 08:06:07 - Paris (AFP) - © 2019 AFP

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