L’ARGENT DE L’EST DORT TRANQUILLE A GENEVE

Samedi 15 septembre 2007 — Dernier ajout vendredi 27 mars 2009

L’Expansion 20/02/1995

L’ARGENT DE L’EST DORT TRANQUILLE A GENEVE

Un article de Nicolas Beau

Accusée de blanchiment d’argent sale, la place financière genevoise avait fait amende honorable. Mais aujourd’hui, elle succombe aux charmes frelatés des fonds venus de Russie.

Extraits de l’article sur le site du magazine l’Expansion.

En 1990, le socialiste genevois et agitateur d’idées Jean Ziegler déchirait ce voile de sérénité avec un pamphlet tonitruant, La Suisse lave plus blanc, vendu à 100 000 exemplaires en France. L’objet de mon livre était de montrer comment les hommes d’affaires suisses sont passés de l’hypocrisie au cynisme, confie l’abrupt conseiller d’Etat. La réputation de Genève, la sainte mère des banquiers et des accords de paix, parangon de propreté et de neutralité qui ne se reconnaissait de faiblesses que pour le chocolat et les pétrodollars, était alors solidement écornée par quelques affaires de blanchiment d’argent sale. Le franc suisse, fronton de son savoir-faire financier, avait essuyé secousse sur secousse à partir de 1987.

Des pratiques illégales, mais pas mafieuses…

A entendre les grands banquiers de la place, personne ou presque n’accueillerait ces capitaux à la réputation sulfureuse. La vague d’argent sale ne pénétrera pas en Suisse, veut-on croire à Paribas-Suisse, une maison de 125 ans d’âge. Nous n’avons pas de clients de l’Est, se défend-on chez Pictet, pour qui le seul vrai horizon se situerait à l’est de l’Est, au cœur de cette Asie créatrice de richesses dans les vingt années à venir comme le furent l’Europe et les Etats-Unis après la dernière guerre. Propos visionnaires qui s’attirent quelques sourires soupçonneux chez le Pr Jacques L’Huillier, consultant pour Lombart et Odier : Nous avons plus que des hésitations sur les fonds russes, tout ce qu’on raconte sur Moscou n’est pas une fable. Pas question, rétorque-t-on à ces incrédules, de se précipiter à Moscou la mafieuse : deux banques suisses seulement, l’imposant Crédit suisse et la Banque de New York, se sont jusqu’à présent installées aux abords de la place Rouge.

A Genève comme à Zurich, désormais reliée par avion à la plupart des républiques musulmanes, les fonds déposés sont considérables. Le Parlement de Berne est saisi de deux demandes d’entraide judiciaire, qui témoigent de l’ampleur des sommes en jeu. La première touche aux réserves d’or de la banque centrale de Tachkent placées sur des comptes privés du Crédit suisse à Zurich. La seconde concerne quelque 5 milliards de dollars appartenant à l’ex-Parti communiste de l’URSS placés, d’après la presse moscovite, dans une banque suisse.

Tout aussi parlantes sont les sérieuses difficultés de Nessim Gaon, une des plus grosses fortunes de Genève et le propriétaire du Hilton.

A l’origine des poursuites engagées contre ses sociétés Aprofim et Noga pour impayés se trouve un mauvais contrat de troc (céréales contre pétrole) de 600 millions de dollars passé avec l’ex-URSS.

Mais l’Est n’est pas le seul horizon du relâchement genevois. La quatrième banque suisse, TDB, a réalisé la performance d’être mise en cause presque simultanément dans quatre affaires dans autant de pays différents : un désastre immobilier en Allemagne, du recyclage d’argent sale aux Etats-Unis, un scandale sur la sécurité sociale au Brésil et l’affaire du financement du GAL, l’officine espagnole qui se livrait à des assassinats de militants extrémistes basques.

Quand il s’agit de finance, la vertu des calvinistes genevois est décidément bien fragile.

UNE LEGISLATION ENCORE TROP LAXISTE

(un entretien avec Bernard Bertossa)

La coopération judiciaire entre la Suisse et l’étranger fonctionne-t-elle correctement ?

Depuis deux ans, nous avons reçu une bonne centaine de commissions rogatoires, notamment de France, d’Italie et d’Espagne. Mais nous avons une originalité détestable : la possibilité de recours multiples contre les décisions d’entraide. Si le magistrat nommé ne montre pas de diligence particulière, ce qui est le cas dans le recours déposé dans l’affaire de la Société générale, cela peut prendre jusqu’à quatre ou cinq ans. Une réforme des voies de recours est actuellement à l’étude. Autre problème, les seules infractions retenues sont celles qui sont inscrites dans notre droit. Ainsi, le financement de partis ou la dissimulation fiscale ne sont pas des délits en Suisse. Encore faut-il le savoir : j’ai pris pour cela l’initiative à l’automne de réunir à Genève des juges d’instruction de plusieurs pays d’Europe.

La Suisse reçoit de 30 à 40 % des fonds privés dans le monde, près de 300 milliards de francs suisses. Avec de telles masses d’argent, comment vaincre le blanchiment ?

Les réseaux de blanchiment sont souvent les mêmes que ceux de l’évasion fiscale. Si on veut vraiment être efficace, on devra étendre la coopération internationale à la dissimulation fiscale.

Après tout, voler l’Etat, c’est aussi un vol.

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