Le « trou noir » suisse

Vendredi 23 février 2001 — Dernier ajout vendredi 27 mars 2009

L’Humanité - International - Article paru le 23 février 2001

Le « trou noir » suisse

Argent sale. Un rapport parlementaire français révèle le scandale du paradis banquier helvétique.

Qualifiée de " prédateur de la finance mondiale « , la Suisse est dénoncée, preuves à l’appui, comme le lieu privilégié de refuge de l’argent criminel. » On ne qualifie pas la Suisse d’État criminel, mais on est obligé de reconnaître que c’est dans cet État-là que les criminels du monde entier choisissent encore aujourd’hui d’abriter leurs sommes. " C’est en ces termes que le député socialiste Arnaud Montebourg, rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le blanchiment de l’argent sale en Europe (1), a résumé mercredi un document intitulé « La lutte contre le blanchiment des capitaux en Suisse : un combat de façade » (2).

En quatre cents pages d’analyses et de comptes rendus d’audition de personnalités essentiellement suisses, le rapport de la mission parlementaire - venant après ceux sur le Lichtenstein et sur Monaco et en précédent un autre sur les îles Britanniques - démonte méthodiquement la mécanique banquière, financière et réglementaire suisse.

" L’un de nos interlocuteurs, Bernard Bertossa, procureur général près la République du canton de Genève, a parfaitement résumé la situation de la Suisse en matière de lutte contre le blanchiment : "L’existence de la loi est une chose, sa mise en ouvre en est une autre«  », peut-on lire dans l’avant-propos du document parlementaire. Dès sa publication, le ministère helvétique des Finances a estimé que ce document « mêle, entre deux données exactes, informations erronées et aspects en partie polémiques relatifs aux thèmes les plus divers de la place financière, laquelle fait l’objet d’un jugement unilatéral ». Pour les autorités suisses, « par ses accusations non fondées, ce rapport sape sa propre crédibilité ». Une affirmation pour le moins contestable, puisque la mission rappelle que son travail « ne s’est appuyé que sur des informations, des déclarations ou des appréciations en provenance des institutions et des autorités suisses ».

L’historique des fondements de la Confédération helvétique, d’une « neutralité rentable », une « alliance de cantons souverains » et une « république des banquiers », qui a servi de « banquier au Reich », rappelés par le rapport, explique pourquoi la Suisse s’est constituée en " prédateur de la finance mondiale " qui attire dans ses banques « un tiers de la fortune privée mondiale ».

Un sondage de l’institut de recherche GFS, effectué en septembre dernier pour le compte de l’Association suisse des banquiers, indique que 77 % des Suisses soutiennent « la conception actuelle du devoir de discrétion du banquier », c’est-à-dire le secret bancaire. On trouve là le noud d’un système parfaitement opérationnel. Le document de la mission parlementaire explique : " Comme tous les États qui ont développé une économie financière fondée sur des dispositifs fiscaux, juridiques ou commerciaux particulièrement avantageux, la Suisse s’expose plus largement à l’arrivée de capitaux d’origine criminelle. « Dans cette sphère économique » fort peu réglementée, l’activité de gestion de fortunes ou de patrimoines occupe une place de choix. Elle n’est pas toujours exercée par les banques, elle est aussi le fait d’avocats, d’agents fiduciaires, de gérants de fortunes indépendants ou qui opèrent en relation avec une banque ".

La Suisse « ne réagit que sous la pression internationale », constate le rapport. C’est dans ce contexte que fut votée en octobre 1997 la loi-cadre sur le blanchiment des capitaux (loi LBA). « En prévoyant la pénalisation du blanchiment (…), la Suisse estimait s’être dotée d’un dispositif »mordant« , incitant banquiers et financiers à la vigilance. » En pratique, cette législation n’a pas apporté de changements notables : " Les autorités pénales n’ont reçu, en application du droit de communiquer, que quelques dizaines de déclarations de soupçons (que seuls les banquiers sont habilités à faire, et donc selon leur bon vouloir - NDLR), et la Suisse a continué, au cours des années quatre-vingt-dix, d’accueillir en masse les capitaux douteux, et notamment l’argent sale des pays de l’Est, mais aussi celui des pays de l’Union européenne. « Le président de la commission, Vincent Peillon, a fait observer : » Perçue comme un pays offensif dans le combat anti-blanchiment, la Suisse n’en reste pas moins confrontée à la succession de scandales financiers (…). « Ce pays » reste encore trop ouvert à l’utilisation de mécanismes trop systématiquement empruntés par la criminalité financière. Il en va ainsi de l’utilisation des fiduciaires (des sociétés écran - NDLR), qui permettent de déjouer les procédures d’identification des bénéficiaires réels des fonds et qui, de ce fait, constituent une zone d’ombre préoccupante au sein des dispositifs de contrôle ".

Pour sa part, le rapporteur Arnaud Montebourg a souligné : « Au cours des dernières années, toutes les affaires financières criminelles ont, à un moment donné, fait intervenir des comptes bancaires ou des fiduciaires situés en Suisse. Ces dernières constituent un véritable »trou noir« dans le système financier mondial. »

Dominique Bari et Michel Muller

(1) Cette commission est présidée par le député socialiste Vincent Peillon. Michel Hunault et Jean-Claude Lefort en sont les vice-présidents.

(2) Le rapport, d’une lecture passionnante, écrit dans un langage clair et compréhensible par tous, peut être consulté sur le site Internet http://www.assemblee-nationale.fr/2/2nouveaute.html.

Publié avec l’aimable autorisation du journal l’Humanité.

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