Alexandre Djouhri, un flambeur au coeur des réseaux politiques de droite

Vendredi 31 janvier 2020

Alexandre Djouhri, un flambeur au cœur des réseaux politiques de droite

Par L’Obs avec AFP Publié le 30 janvier 2020 à 23h25

Paris (AFP) - Homme de l’ombre au passé trouble, Alexandre Djouhri a réussi, par son bagout, à s’imposer dans les réseaux de la droite française et nouer des amitiés avec les puissants de ce monde, ce qui lui vaut, depuis plusieurs années, d’intéresser les magistrats anticorruption en France.

Son nom était apparu dans le volet financier de l’affaire Karachi, sans qu’il ne soit inquiété par la justice.

Mais c’est désormais dans l’enquête sur des soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 que des juges d’instruction parisiens veulent l’entendre.

Ils espèrent que cet homme, aujourd’hui âgé de 60 ans et remis jeudi soir aux autorités judiciaires français à son arrivée à Roissy, leur permettra de lever certaines zones d’ombre dans ce dossier complexe, notamment sur des flux financiers suspects. "Son audition va constituer un tournant important, il a énormément de choses à dire", pronostique une source proche du dossier.

Comment ce fils d’ouvrier algérien d’origine kabyle, né à Saint-Denis, a réussi à s’introduire dans le monde feutré des patrons du CAC 40 et des réseaux politiques de droite et à se muer en homme d’affaires menant grand train entre Genève, Londres et Paris ?

  • « Toupet monstre » -

Interrogés par l’AFP, plusieurs proches le décrivent comme un homme « redoutablement intelligent », doté « d’un toupet monstre », « un personnage haut en couleurs avec le sens de la formule ». « Alexandre peut être tendre et charmant, et l’instant d’après vulgaire avec un langage très fleuri », raconte l’un d’eux.

« C’est un nouveau riche, ravi d’être invité à la table des grands de France », raille de son côté un de ceux qui l’a côtoyé.

Dans les années 1960, le jeune Ahmed - il se fera appeler Alexandre vingt ans plus tard pour gommer ses origines - grandit dans une cité de Sarcelles, dans le Val-d’Oise.

Adolescent, « il néglige l’école pour la rue », selon un de ses proches. Avec ses amis, il apprend le maniement des armes, traîne dans les milieux de la pègre parisiens et commence à se faire connaître des services de police, relatent les journalistes Simon Piel et Joan Tilouine dans « L’affairiste ». Sans toutefois jamais être condamné, à la différence d’autres membres de sa bande.

Séducteur et aimant le bling-bling, « Monsieur Alexandre » se lie d’amitié avec le jeune Anthony Delon à la sortie d’un club - avec qui il lancera une marque de vêtements en cuir- mais aussi avec l’homme d’affaires Fara M’Bow, fils d’un ancien ministre sénégalais devenu président de l’Unesco.

Il investit notamment grâce à lui les réseaux de la « Françafrique », puis se fraie un chemin parmi des personnalités du monde arabe, crée une éphémère agence de presse africaine, et s’improvise négociateur sur des transactions de matières premières.

Parti s’installer en Suisse, ce père de deux enfants fréquente les fortunes du monde entier, et des financiers tels que le banquier franco-djiboutien Wahib Nacer, lié à la richissime famille saoudienne Bugshan.

En France, son aplomb à toute épreuve lui permet de se rapprocher de figures de la droite, d’abord chiraquiennes, puis sarkozystes : les anciens ministres Michel Roussin et Dominique de Villepin, le diplomate Maurice Gourdault-Montagne, ex-secrétaire général du Quai d’Orsay, ou encore Claude Guéant, qu’il rencontre quand ce dernier est secrétaire général de l’Elysée.

Il fréquente aussi de grands chefs d’entreprise tels qu’Henri Proglio, ancien PDG de Veolia, l’ancien magistrat Alain Marsaud et l’ex-patron du Renseignement intérieur Bernard Squarcini.

  • « Sans modération » -

« Quand il aime, c’est sans modération. Si bien qu’il entre en croisade et injurie à qui mieux mieux ceux qui ont eu le tort de critiquer ses amis », dit un proche. Anne Lauvergeon, ex patronne d’Areva en a fait ainsi les frais pour s’être attaquée à Henri Proglio.

L’homme fascine. A Paris, où il n’a pas de pied à terre, il régale, sans compter, ses amis dans les restaurants et bars du Crillon, du Bristol ou du Ritz. Lorsqu’il était invité, il « venait toujours avec sa bouteille de vin ou son whisky, évidemment du meilleur cru », se souvient un proche.

Il agace aussi. Certains n’hésitent pas à le traiter d’escroc et l’accusent de s’être bâti une légende. Emmanuel Macron s’en méfie : en décembre 2017, Alexandre Djouhri parvient à se faire inviter à une réception de l’ambassadeur de France à Alger, lors d’une visite présidentielle. Il n’avait pas réussi à approcher le chef de l’Etat, mais ce dernier avait été furieux d’apprendre qu’il avait été convié.

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