Comptes suisses : l’heure des comptes pour Marchiani

Lundi 3 octobre 2005 — Dernier ajout lundi 6 août 2007

Comptes suisses : l’heure des comptes pour Marchiani

L’ancien préfet, proche de Pasqua, va devoir répondre de diverses commissions occultes.

Par Karl LASKE

lundi 03 octobre 2005 (Liberation - 06:00)

Il a déjà fait sept mois de détention provisoire. Il se prépare à un mois d’audience. Mais il a le moral, toujours. Il plaisante, nargue les journalistes, ricane au téléphone. L’ancien préfet Jean-Charles Marchiani, ex-bras droit de Charles Pasqua, ancien député européen, doit comparaître aujourd’hui et jusqu’au 12 octobre, devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour avoir perçu des commissions occultes (1,2 million d’euros) sur le marché des boîtes de vitesses des 436 chars Leclerc vendus par la France aux Emirats Arabes Unis.

Et ce n’est qu’un premier dossier. A partir du 17 octobre, le tribunal doit examiner aussi la question des commissions reçues par l’ex-préfet sur le marché du système de tri de bagages de l’aéroport de Roissy vendu par la société néerlandaise Vanderland Industries. Plus tard, (la justice n’a pas encore tout tranché), on devrait le revoir encore devant les tribunaux pour l’affaire des ventes d’armes à l’Angola ou un dernier dossier Elf.

Selon le récapitulatif du juge d’instruction, Philippe Courroye, le solde de ses avoirs, au moment de l’enquête judiciaire, s’élevait très précisément à 9 386 406 euros. En Suisse, le préfet avait ouvert six comptes bancaires secrets : H7, Alex, Sopar, Irish, Stef et Rich. On relève au passage que Marchiani recevait des fonds de l’office de vente d’armes du ministère de l’Intérieur (la Sofremi) alors qu’il était en fonction, place Bauveau.

Les ennuis de l’ancien préfet ont commencé lors des perquisitions effectuées, à l’automne 2000, chez le marchand d’armes Pierre Falcone, soupçonné d’avoir financé, via Marchiani, la campagne du RPF de Charles Pasqua aux européennes de 1999. L’année suivante, le juge saisit une comptabilité manuscrite dans la sacoche de Marchiani : seuls des prénoms ou des noms de code y figurent. Un juge suisse livre peu après les comptes communiqués par diverses banques. Confronté aux documents, Marchiani va prétendre qu’il a ouvert ces comptes pour ses « missions ». Agent des services spéciaux dans sa jeunesse, « honorable correspondant » par la suite, il a été l’émissaire secret des autorités françaises dans l’affaire des otages du Liban, en 1988. Il jure donc avoir géré, depuis lors, une caisse noire pour le compte de l’Etat. « Les mouvements de tous ces comptes étaient surveillés par une cellule spéciale de la DGSE dont c’était la vocation », assure-t-il avec aplomb devant le juge. L’ancien ministre de la Défense, François Léotard, a trouvé l’explication « cocasse ». « La DGSE dispose de plusieurs centaines de millions de francs par an pour ce type d’opérations et l’Etat n’a pas besoin de passer par ce type d’officine privée ou par Jean-Charles Marchiani », a déclaré Léotard au juge. L’épouse de Marchiani avait en outre procuration sur ces prétendus comptes secrets.

Placé devant les découvertes du juge, Charles Pasqua lui même s’est désolidarisé de son ancien collaborateur. « Je suis surpris de constater qu’alors qu’il occupait des fonctions au ministère de l’Intérieur (en 1993), M. Marchiani ait pu percevoir de telles sommes, a-t-il déclaré. Je découvre ces agissements aujourd’hui que je considère comme anormaux et inadmissibles ».

Le procès, qui débute aujourd’hui, met Marchiani en présence d’un intermédiaire, Yves Manuel, et d’anciens dirigeants du fabricant des boîtes de vitesses allemandes Renk, qui ont équipé les chars Leclerc. La vente des blindés français aux Emirats était un marché d’Etat supervisé par Giat Industries. Marchiani avait été présenté aux Allemands comme l’homme qui pouvait « régler les problèmes au niveau des services officiels ».

© libération

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