Brésil : enterrement discret pour l’enquête choc « Lava Jato »

Samedi 6 février 2021

Bresil : enterrement discret pour l’enquete choc « Lava Jato »

Source AFP

Publié le 06/02/2021 à 10h39 - Modifié le 06/02/2021 à 14h52

« Lava Jato », l’une des plus grandes enquêtes anticorruption de l’Histoire, qui a fait tomber présidents, politiques et grands patrons en Amérique latine, a été enterrée discrètement cette semaine au Brésil, après avoir elle-même été entachée de scandale.

L’opération « Lavage Express », lancée en mars 2014 contre le blanchiment d’argent et partie d’une modeste station-service de Brasilia, est rapidement devenue un instrument puissant entre les mains de juges déterminés qui ont mis au jour un réseau tentaculaire de corruption.

Elle a secoué les plus hautes sphères du gouvernement et des affaires au Brésil, tout en s’étendant en Amérique latine et jusqu’en Afrique, et a inspiré un film et une série de Netflix.

Avec des méthodes agressives s’appuyant beaucoup sur les aveux récompensés, les procureurs ont découvert un système bien rodé qui permettait à des politiciens de quasiment tous les partis de s’entendre avec des compagnies, tel le conglomérat du BTP Odebrecht, sur des contrats avec le groupe étatique Petrobras et d’empocher d’énormes sommes.

En communiquant à des confrères étrangers le résultat de leur enquête, les limiers de « Lava Jato » ont déclenché un tsunami anticorruption dans de nombreux pays.

« Lava Jato » a ainsi engrangé des résultats spectaculaires : condamnation de 174 personnes au Brésil, mise en cause de 12 chefs ou ex-chefs d’Etat, au Brésil, au Pérou ou au Panama, retour de 665 millions d’euros dans les coffres brésiliens et promesse de 2,32 milliards d’euros supplémentaires.

Et pourtant le bureau du procureur-général a annoncé mercredi sans fanfare que sa principale équipe d’enquêteurs était démantelée.

« Il n’y a plus de corruption »

Ironie de l’Histoire, cet enterrement intervient sous la présidence d’un Jair Bolsonaro qui doit son mandat à « Lavage Express ».

« L’homme politique qui a le plus bénéficié de l’enquête anticorruption a planté les derniers clous dans son cercueil », dit le sociologue Rocha de Barros dans la revue Americas Quarterly.

« J’ai mis fin à ’Lavage Express’ parce qu’il n’y a plus de corruption dans le gouvernement au Brésil », a assuré en octobre le président d’extrême droite.

Une semaine plus tard, le no2 des rangs bolsonaristes au Sénat était surpris avec l’équivalent de 4.600 euros dans son caleçon, argent provenant apparemment de fonds destinés à la lutte contre le covid-19.

Le candidat Bolsonaro a montré bien plus de ferveur pour la lutte anticorruption, thème central de sa campagne en 2018, que le président Bolsonaro.

Des membres de sa famille et des proches sont l’objet de multiples enquêtes et le président a passé des alliances avec les partis de « la politique à l’ancienne » qu’il avait promis de liquider.

Jair Bolsonaro s’est rapproché du « centrao » coalition de partis conservateurs connus pour monnayer avidement leur soutien contre des faveurs, qui ont été au cœur de « Lava Jato ».

L’idée était pour Jair Bolsonaro de terminer son mandat sans encombre et d’écarter la menace d’une destitution. Puis d’être réélu en 2022.

Chute des super-héros

Mais « Lava Jato » a elle aussi connu le scandale.

Le site The Intercept a révélé en 2019 des messages montrant que le juge emblématique de « Lava Jato », Sergio Moro, avait conspiré avec les procureurs pour empêcher l’ex-président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva de se présenter à la présidentielle de 2018.

Lula, donné favori des sondages, avait été condamné à la prison et exclu de la course, remportée par Bolsonaro, dont Moro avait accepté de devenir le ministre de la Justice.

Un mariage qui avait fait grincer des dents et s’est mal terminé lorsque l’ex-juge a démissionné en avril 2020, accusant le président d’ingérence.

Cette saga a terni l’image à la fois du « super-héros » Moro et des procureurs de « Lavage Express », vénérés au Brésil pour leur croisade impitoyable contre les corrompus.

Quel héritage va laisser « Lava Jato » ?

Certains des enquêteurs vont être assignés à une nouvelle entité contre le crime organisé.

La Cour suprême a interdit certaines pratiques qui avaient donné sa force de frappe à l’enquête et permis de mettre fin à l’impunité des puissants, mais entamé des droits fondamentaux comme la présomption d’innocence.

« L’expérience a montré que tordre les règles sapait l’ensemble de la justice et la démocratie (…) elle-même », explique le constitutionnaliste Daniel Vargas à l’AFP.

Toutefois « pendant sept ans, dans le Brésil de ’Lava Jato’, les politiciens et autres personnages corrompus de toutes sortes ont effectivement risqué d’être envoyés en prison », écrit l’éditorialiste JR Guzzo dans la Gazeta do Povo, hebdomadaire de Curitiba, ville du sud du Brésil où était basé l’enquête.

06/02/2021 14:50:14 - Rio de Janeiro (AFP) - © 2021 AFP

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