« Pas paranoïaque » : le Mexique au coeur de l’affaire Pegasus

Mardi 20 juillet 2021

« Pas paranoïaque » : le Mexique au cœur de l’affaire Pegasus

Par L’Obs avec AFP Publié le 20 juillet 2021 à 06h55

Mexico (AFP) - Marcela Turati se doutait depuis longtemps qu’elle était espionnée par les autorités mexicaines. Aujourd’hui, cette journaliste indépendante est presque certaine d’avoir été la cible du logiciel Pegasus.

Et pour cause. Marcela, 47 ans, a été informée samedi que son nom et ceux de 24 autres journalistes basés au Mexique figuraient sur une liste de 15.000 numéros enregistrés dans le logiciel conçu par la société israélienne NSO et acheté par le gouvernement du président Enrique Peña Nieto (2012-2018).

Introduit dans un smartphone, ce redoutable logiciel permet d’en récupérer les messages, photos, contacts et même d’écouter les appels de son propriétaire.

L’enquête qui renforce les soupçons pesant de longue date sur cette société, a été publiée dimanche par un consortium de 80 journalistes travaillant pour 17 médias internationaux.

Elle se fonde sur une liste obtenue par le réseau basé en France Forbidden Stories (« histoires interdites ») et l’ONG Amnesty International, comptant selon eux 50.000 numéros de téléphone sélectionnés par les clients de NSO depuis 2016 pour une surveillance potentielle.

A l’instar de Marcela, des proches et des collaborateurs du président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO), figurent parmi les cibles de ce complot.

Ceux-ci auraient été espionnés entre 2016 et 2017, a révélé lundi l’un des 17 médias du consortium.

Bien que la licence de Pegasus au Mexique ait expiré en 2017, Marcela est convaincu que la surveillance se poursuit par d’autres moyens.

« Je pense que presque tous les journalistes au Mexique savent et sentent qu’ils sont soumis à une sorte de surveillance car le Mexique est l’un des pays les plus dangereux pour exercer notre profession », confie lundi la journaliste à l’AFP.

Au moment où elle pense avoir été espionnée, elle enquêtait avec deux autres collègues sur l’affaire du géant brésilien Odebrecht de versement de pots-de-vin colossaux en échange de contrats dans plusieurs pays d’Amérique latine, dont le Mexique.

« Des gens m’ont écrit pour me dire +regarde, tu n’étais pas folle, tu n’étais pas paranoïaque, ce que tu disais s’est produit+ »,raconte Turati avec émotion.

  • « Plus personne n’est espionné » -

AMLO, au pouvoir depuis 2018, s’est pour l’instant borné à réaffirmer lundi que son gouvernement n’espionne pas les journalistes.

« Plus personne n’est espionné, les libertés sont garanties », a dit le leader de gauche.

Il s’est du même coup engagé à élucider le cas du journaliste Olegario Aguilera, disparu il y a 17 ans dans l’État de Guerrero (sud) dans un contexte encore obscur.

Avec un collectif de journalistes, Marcela Turati est également connue pour avoir établi une carte des tombes clandestines et enquêté sur les massacres de migrants et la disparition des 43 étudiants d’Ayotzinapa en 2014, une affaire largement condamnée dans le monde.

Des proches des victimes de l’Ayotizanapa et des défenseurs des droits de l’homme ont également été pris pour cible, selon les enquêtes menées par des médias tels que le Washington Post, le Guardian et Le Monde.

« J’ai été très impliquée dans la mise en place de réseaux de protection des journalistes », se souvient Marcela.

Une centaine de journalistes ont été tués au Mexique depuis 2000, dont Cecilio Pineda en mars 2017 à Guerrero. Son téléphone avait également été pénétré par Pegasus.

A la suite de l’enquête du consortium, NSO a fait valoir que son logiciel a été conçu pour lutter contre le terrorisme, la pédophilie et d’autres crimes.

Des proches de Javier Valdez, le collaborateur de l’AFP abattu en mai 2017 à Culiacán (nord-ouest), auraient également été placés sous écoutes.

  • « espionnage politique » -

Les écoutes de l’entourage d’AMLO auraient eu lieu lorsqu’il dirigeait l’opposition à Peña Nieto (2012-2018) du PRI, le parti alors majoritaire, selon le site Aristegui Noticias.

Parmi ces personnes figurent l’épouse de Lopez Obrador, Beatriz Gutiérrez, ses enfants, ses frères et soeurs et même le cardiologue du leader de gauche qui l’avait opéré d’un infarctus.

Le maire de Mexico, Claudia Sheinbaum, des ministres et autres responsables du gouvernement actuel, ont été également été surveillés.

« L’ancien gouvernement pratiquait l’espionnage politique », a confié Sheinbaum à Aristegui Noticias, dont la directrice, Carmen Aristegui, était également sous écoutes.

La liste d’au moins 50.000 smartphones « infectés » par Pegasus ne comprenait cependant pas celui d’AMLO, qui, selon Aristegui Noticias, « n’utilisait apparemment pas de téléphone portable personnel » et transmettait ses messages par l’intermédiaire de collaborateurs.

Selon l’enquête autour de Pegasus, le logiciel était également utilisé par le ministère de la défense et l’ancien bureau du procureur général.

L’Obs avec AFP

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