Le film qui ébranle l’industrie du diamant
JEAN-FRANÇOIS ARNAUD.
Publié le 27 janvier 2007
Actualisé le 27 janvier 2007 : 08h08
Les diamantaires se mobilisent pour se défendre contre une production hollywoodienne…
"L’INDUSTRIE mondiale du diamant serre les dents. À Londres, les sages messieurs de la compagnie De Beers, capables d’évaluer une pierre d’un coup d’œil sans laisser transparaître la moindre émotion, laissent passer le coup de grisou".
Une autre industrie, celle du film américain, beaucoup plus puissante, les attaque bille en tête. En effet, Hollywood a décidé d’exploiter à sa façon le juteux filon des mines de diamants, avec ses décors de guerres ethniques en Afrique, de trafiquants d’armes et de civils massacrés. Ce sont les ingrédients du dernier film américain à grand spectacle Blood Diamond avec Leonardo DiCaprio, réalisé par Edward Zwick.
Sorti mi-décembre aux États-Unis, il débarque en France mercredi. On y voit le superhéros aux yeux bleus (DiCaprio incarne un aventurier à la recherche d’un diamant très rare) lutter contre des trafiquants d’armes, d’horribles mercenaires et des militaires sanguinaires. Une sorte d’Indiana Jones dans l’enfer de la course au diamant en Sierra Leone. Le film illustre parfaitement le phénomène connu en Afrique des « diamants sales », qui financent les guerres et les ventes d’armes. « Le trafic des diamants marche avec celui des armes, qu’il finance, il a ses figures d’aventuriers, explique Bruno Roger, universitaire auteur d’un livre sur la géopolitique de cette pierre (Le Diamant, un monde en révolution, Ed. Belin), l’industrie n’a pas toujours été très regardante sur l’origine des diamants bruts, mais c’est moins le cas aujourd’hui ». Comme le souligne cet expert, la situation a énormément changé en quelques années. Et la réalité décrite par le film d’Edward Zwick correspond à la situation d’avant les années 1990.
Sous l’impulsion du groupe De Beers, qui a longtemps contrôlé à lui seul la totalité du marché mondial, le diamant a fait sa révolution culturelle et l’industrie s’est considérablement assainie. « Conscients des gros problèmes de l’activité diamantaire, nous avons décidé de travailler avec les ONG et les Nations unies pour mettre fin aux diamants sales », explique Thomas Morel, le directeur général de Diamond Trading Company (groupe De Beers) en France. Ainsi est né le processus de Kimberley en 2000, un texte ratifié par 52 États s’engageant à ne pas acheter ou vendre des diamants servant à financer des mouvements rebelles.
Ce processus correspond aussi à une période de grande transformation pour la firme De Beers elle-même. « Confrontée à une toute nouvelle géopolitique et à l’émergence d’une concurrence nouvelle, la famille Openheimer, qui a fondé l’entreprise un siècle plus tôt, a décidé de reprendre le pouvoir et a racheté la totalité du capital qui était alors coté en Bourse », raconte Bruno Roger.
C’est à cette époque aussi qu’a été créée la co-entreprise avec le leader mondial du luxe, LVMH, pour créer des boutiques de joaillerie à la marque De Beers. Devenant une marque publique, rivalisant avec les grands noms du luxe, la firme se devait d’être moralement irréprochable.
Le processus de Kimberley pour la traçabilité
« Aujourd’hui tous les diamants bruts sont traçables », insiste Thomas Morel. En réalité les diamants d’origine douteuse existent encore, mais ils ne représentent pas plus de 5 % du marché mondial, selon le groupe De Beers et aux alentours de 10 % selon Bruno Roger.
L’un des derniers points noirs, pointé début décembre par Amnesty International, est la Côte d’Ivoire. L’ONG signale qu’en octobre dernier, le rapport d’un groupe d’experts des Nations unies sur la Côte d’Ivoire a conclu que des diamants du conflit en provenance de ce pays infiltraient le commerce légal des diamants via le Ghana, qui participe au processus de Kimberley. En clair, ce pays serait en train de blanchir les diamants sales de Côte d’Ivoire. « Des diamants du conflit ont été introduits en fraude au Ghana à partir des zones contrôlées par les rebelles, dans le nord de la Côte d’Ivoire, pour une valeur allant jusqu’à 23 millions de dollars. Ces diamants ont été ensuite certifiés hors conflit, à cause des faiblesses du système de contrôle interne ghanéen », rapporte Amnesty.
Néanmoins, il s’agit bien des derniers soubresauts d’une époque qui se termine. Les diamantaires tiennent à le faire savoir. « Cette industrie emploie 10 millions de personnes à travers le monde, plaide Guy Leymarie, le directeur général de la co-entreprise De Beers-LVMH, c’est l’une des premières sources de revenus pour l’Afrique et elle participe largement à l’amélioration des conditions de vie de ses habitants. »
Le prix Nobel Nelson Mandela a apporté son soutien à cette contre-attaque. Lui aussi insiste sur l’importance de cette activité pour les Africains.
Le diamant, plus dur que le verre et plus dur que la pierre sera-t-il plus dur qu’Hollywood ? Ce n’est pas certain.
© Le Figaro
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