Dominique Erignac : « Colonna se moque de nous »

Mardi 13 novembre 2007

Samedi 10 Novembre 2007

Dominique Erignac : « Colonna se moque de nous »

Propos recueillis par Michel DELEAN

Le Journal du Dimanche

illustration : La veuve du préfet assassiné se confie. (Maxppp)

Dominique Erignac, la veuve du préfet de Corse Claude Erignac, assassiné en 1998 à Ajaccio alors qu’ils se rendaient tous deux à un concert, attend des réponses du procès d’Yvan Colonna. Malgré les craintes de son entourage, face à l’épreuve personnelle que va représenter un mois de débats devant la cour d’assises, elle sera bien présente, comme elle l’a été tout au long du procès des autres membres du « commando Erignac », en 2003.

Madame Erignac, allez-vous assister au procès d’Yvan Colonna ? Oui, bien sûr. Je vais assister à ce procès avec mon fils et ma fille, ça me paraît normal. J’y vais avec quand même un peu d’angoisse, parce qu’on ne sait jamais comment un procès comme celui-là peut tourner, mais j’espère fortement que ça se passera bien.

Qu’attendez-vous des débats ? Beaucoup de choses. D’abord, qu’une vérité sorte. Comprendre pourquoi on a assassiné mon mari. Et par la suite, peut-être, essayer de mener une vie un peu normale, se retrouver soi-même. En fait, depuis le 6 février 1998, jour où mon mari a été assassiné, près de dix années ont passé. C’est très, très long. Il y a des moments où rien ne se passe, on reprend une vie normale. Et puis tout revient, et c’est très difficile. Colonna a pris le maquis pendant quatre ans, ensuite il a refusé de parler à la justice pendant deux ans. Je trouve qu’il se moque du monde, et qu’il se moque de nous.

Pensez-vous qu’il puisse dire ce qui s’est passé ? Je ne sais pas, mais en tout cas je le souhaite. J’espère qu’il dira la vérité, ce serait courageux de sa part. Mes enfants et moi, nous avons droit à la vérité.

Avez-vous des appréhensions à la veille de ce procès ? Bien sûr. On appréhende un peu tout, notamment ce qui va se dire. On va certainement entendre des choses qui vont nous heurter, et nous faire mal. Alors, on imagine tout. On essaye de se blinder. Mais ça nous fera sûrement mal. Ce sera difficile.

Craignez-vous notamment un déballage sur le thème de la « guerre des polices » ? Si c’était le cas, je le vivrais forcément mal. Nous sommes les victimes, et nous allons devoir subir et entendre des choses dites par ceux qui ont déjà été jugés, condamnés ou pas, au premier procès. Un jour, ils disent qu’ils ont tout fait, le lendemain qu’ils n’ont rien fait. On est baladés. Il faut faire face, garder la tête haute, mais ce n’est pas toujours facile. Heureusement, j’ai mes enfants, Christophine et Charles-Antoine, et mon avocat, Me Philippe Lemaire. Des gens nous soutiennent. Peut-être qu’on se sentira un peu moins seuls.

Les parents d’Yvan Colonna vous ont écrit une lettre en 1999. Oui. A ce moment-là, c’étaient des parents qui voulaient s’excuser, ils me demandaient pardon pour le mal que leurs fils nous avaient fait. Leur lettre m’avait touchée, à l’époque. Je peux comprendre, je suis une mère de famille moi aussi. Mais aujourd’hui, que reste-t-il de cette lettre ? Elle me paraît très lointaine. Ils soutiennent absolument leur fils, qui dit être innocent, et ils n’ont plus jamais eu un mot pour nous. Où est passé cet élan, alors qu’ils placardent partout leur innocence ?

Qu’auriez-vous envie de dire aujourd’hui ? La vraie question, c’est : pourquoi a-t-on assassiné mon mari ? C’était un homme ouvert sur les autres. On ne vivait pas derrière des grilles, il ne voulait pas de protection policière. Pour lui, la Corse était une des plus belles régions de France, et il ne voulait pas vivre autrement que de façon normale. Pourquoi ? C’est la question que je me pose. Après le 6 février 1998, ma vie a basculé. On entre dans une grande solitude, à laquelle on n’est pas forcément préparé, et il faut tout affronter. C’est difficile.

2007 © Le Journal du Dimanche

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