« La Suisse doit abolir le secret bancaire »

Dimanche 23 novembre 2008 — Dernier ajout dimanche 22 mars 2009

23 novembre 2008 - 07:30

« La Suisse doit abolir le secret bancaire »

Les paradis fiscaux - dont la Suisse - ont en grande partie créé les conditions qui ont mené à la crise financière mondiale. C’est l’avis de John Christensen, directeur du Réseau mondial pour la justice fiscale. Pour lui, les paradis fiscaux sont les principaux obstacles à la transparence des marchés financiers et à l’équité fiscale.

swissinfo : Selon vous, les paradis fiscaux ont largement contribué à la crise financière actuelle. Pour quelle raison ?

J. C. : Il y a deux facteurs à l’origine de la crise actuelle : premièrement, le manque de transparence dans le marché financier, deuxièmement l’absence de régulation efficace. A cela est venu se greffer, depuis une vingtaine d’années, le développement d’instruments financiers extraordinairement complexes.

Or, la plupart de ces instruments complexes ont été créés dans des paradis fiscaux, ce qui n’est pas dû au hasard. Les paradis fiscaux combinent en effet une « juridiction du secret » à une régulation laxiste, ce qui rend le développement de ces instruments financiers plus facile et plus avantageux.

Le résultat, c’est qu’il est extrêmement difficile pour des investisseurs, des analystes, des agences de notation, de comprendre ce qui se passe dans ces territoires offshore.

swissinfo : Quels sont les principaux paradis fiscaux dans votre viseur ?

J. C. : La plupart des gens associent paradis fiscaux à « île exotique », telles que les îles Caïman ou les Bahamas. Ce ne sont pas ces endroits qui nous préoccupent le plus.

Dans notre liste, qui dénombre 72 paradis fiscaux, nous sommes beaucoup plus concernés par de grands centres tel que Londres, le Delaware aux Etats-Unis, ou encore la Suisse, l’Autriche, le Luxembourg.

swissinfo : Sur l’échelle des paradis fiscaux, où se situe la Suisse ?

J. C. : La Suisse est un paradis fiscal assez important avec deux grands centres, l’un à Genève, l’autre à Zurich, qui attirent les fortunes étrangères du monde entier.

Cependant la Suisse est également un acteur politique de taille au sein de l’OCDE, l’organisation européenne de coopération économique. Elle a des représentants politiques au sein du comité des affaires fiscales aux Nations Unies, et dans de nombreuses autres arènes, où des efforts sont conduits pour lutter contre l’évasion fiscale.

swissinfo : N’est-ce pas contradictoire ?

J. C. : Oui, cela représente un problème pour la Suisse, de la même manière que pour d’autres pays membres de l’OCDE, tels que le Royaume-Uni.

swissinfo : Pensez-vous que l’élection de Barack Obama aux Etats-Unis va accroître la pression sur les paradis fiscaux ?

J. C. : Oui, notre organisation le pense. Barack Obama et son entourage ont dit très clairement qu’ils avaient l’intention de prendre des mesures à l’encontre des paradis fiscaux. Barack Obama fait partie des trois signataires du Stop Tax Haven Abuse Act, présenté il y a deux ans devant le Sénat et qui classe notamment la Suisse dans la catégorie des « juridictions offshore » aidant les contribuables américains à échapper au fisc.

Barack Obama et son équipe ont promis de réduire les impôts pour les personnes à bas revenu ; ils sont conscients que pour mettre en œuvre leur politique fiscale, ils devront s’attaquer aux paradis fiscaux, afin de remplir les caisses de l’Etat.

swissinfo : Pensez-vous que Barack Obama peut compter sur l’Europe s’il lance une offensive contre les paradis fiscaux ?

J. C. : Oui, je pense qu’il y a eu un changement notable en ce qui concerne la position de l’Europe, sans conteste, au sein des gouvernements que je conseille. Le gouvernement français du président Sarkozy a donné des signaux dans ce sens. Le gouvernement allemand aussi.

Le gouvernement britannique est resté plutôt silencieux pour l’instant, mais nous faisons pression sur lui pour qu’il s’unisse à la France et à l’Allemagne dans leurs efforts.

swissinfo : Mais le gouvernement britannique s’est jusqu’à présent efforcé de préserver les intérêts de la City.

J. C. : Il est clair que la City de Londres est un obstacle important au progrès dans ce domaine. Il est difficile pour le gouvernement de résister au lobby de la City, qui est puissant.

La City de Londres est le plus grand paradis fiscal au monde, sans compter les places extraterritoriales, satellites de la City, tels que Jersey, Guernesey, les îles Caïman, les îles Vierges. Il faut savoir que la loi britannique a créé toutes sortes de mécanismes pour permettre l’évasion fiscale. Les compagnies offshores et les trusts ont d’ailleurs leur origine dans la législation britannique.

Cependant, l’évasion fiscale est chaque jour davantage remise en cause à l’échelle internationale, la pression de l’opinion publique va crescendo, et je pense que des politiciens tels que Barack Obama, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel vont faire bouger les choses. Le gouvernement britannique ne va donc pas pouvoir rester inactif.

swissinfo : Pensez-vous que le secret bancaire va aussi disparaître à terme ?

J. C. : J’espère bien sûr qu’il va disparaître. En tout cas, la pression est de plus en plus grande pour l’abolir, notamment aux Etats-Unis. Il est difficile de défendre le secret bancaire, car c’est une invitation ouverte au crime. Même si les Suisses ne considèrent pas l’évasion fiscale comme un crime, le reste du monde le pense. Et la majorité des Etats sont également de l’avis que l’évasion fiscale représente une attaque à la souveraineté nationale. C’est pour cette raison que le secret bancaire va disparaître à mon avis.

La Suisse doit réaliser que le débat sur la fiscalité est en train d’évoluer et que l’opinion publique a changé. La plupart d’entre nous considère la Suisse comme un très beau pays, dont les habitants respectent la loi et croient en la démocratie. Il est par conséquent extrêmement néfaste pour l’image de la Suisse d’être aussi perçue comme un pays qui dissimule de l’argent criminel. La Suisse a tout intérêt à se débarrasser de cette réputation négative et doit agir le plus vite possible.

Interview swissinfo, Catherine Ilic, Londres

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