Les sombres coulisses du Parquet national financier

Vendredi 8 octobre 2021

Les sombres coulisses du Parquet national financier

Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme

Publié hier à 05h37, mis à jour à 08h13

Enquête Deux magistrats du PNF, Patrice Amar et Ulrika Delaunay-Weiss, affirment avoir été « placardisés » alors qu’ils géraient des dossiers concernant Nicolas Sarkozy. Leur histoire, dont « Le Monde » dévoile des éléments inédits, trahit l’ampleur de la crise qui secoue cette institution depuis 2015.

Non-dits, regards en coin… La réunion tourne au soliloque, ce mardi 21 septembre, au 20e étage du tribunal judiciaire de Paris, dans les locaux du Parquet national financier (PNF). Les magistrats spécialisés dans les affaires financières ont été convoqués par leur chef, Jean-François Bohnert, pour une banale séance de rentrée. Dans un coin, Ulrika Delaunay-Weiss, procureure adjointe, officiellement numéro deux du PNF ; dans les faits, soigneusement « placardisée ».

Trois semaines plus tôt, elle a bien prié, émue, M. Bohnert de la rétablir dans ses fonctions, et espéré ensuite un signe. Mais la réunion se poursuit, le patron lit ses notes, et Mme Delaunay-Weiss doit se rendre à l’évidence : aucun nouveau dossier important ne lui est confié, elle n’est plus associée à l’organisation du PNF. La voici presque aussi indésirable que son collègue Patrice Amar, vice-procureur, également présent.

Le point commun entre ces deux magistrats, qui furent longtemps chargés des nombreuses procédures mettant en cause l’ancien président Nicolas Sarkozy et son entourage ? Etre ciblés par l’exécutif, surtout depuis la nomination à la chancellerie, le 6 juillet 2020, de l’avocat Eric Dupond-Moretti.

Un microcosme de dix-huit magistrats

La mise à l’écart du duo Amar - Delaunay-Weiss, fruit d’un long processus, trahit la profondeur de la crise que traverse le PNF, rongé de l’intérieur par des rivalités et des luttes de clans. L’un et l’autre n’ont jamais voulu s’exprimer publiquement, mais ils ont pu dire ce qu’ils avaient sur le cœur aux enquêteurs de l’inspection générale de la justice (IGJ), puis devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Le Monde a eu accès à leurs auditions et rencontré de nombreux témoins, mais pas le garde des sceaux, qui n’a pas donné suite à nos sollicitations. Tous ces témoignages et ces déclarations aident à mesurer l’ampleur du malaise au sein du PNF, un microcosme de dix-huit magistrats. Les accusations sont lourdes : il est question d’atmosphère paranoïaque, de parquetiers en pleurs, de greffiers en burn-out, le tout sur fond de soupçons de connivences politiques, avec, en coulisses, de puissants avocats.

Tout avait pourtant si bien commencé, le 1er février 2014… Nulle animosité, ce jour-là, au PNF. A l’époque, il flotte plutôt comme un parfum d’intronisation dans la cour des grands. Patrice Amar et Ulrika Delaunay-Weiss prennent possession de leur bureau commun dans les locaux alors situés rue des Italiens, au cœur de Paris. Pour cette magistrate d’origine suédoise, volubile, polyglotte, fort bien notée par ses supérieurs, c’est l’acmé d’un parcours sans accroc. Mêmes appréciations louangeuses pour son collègue et subordonné, plus classique : on le dit bon orateur et incollable sur la grande délinquance financière. Lire la suite.

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