Main basse de la Camorra sur le juteux trafic des déchets

Vendredi 1er juin 2007 — Dernier ajout mercredi 5 septembre 2007

INTERNATIONAL : Main basse de la Camorra sur le juteux trafic des déchets

Date de parution : Vendredi 1 juin 2007

Auteur : Eric Jozsef, Rome

ITALIE. La crise des ordures à Naples est terminée, mais la Campanie manque structurellement de décharges et l’incurie administrative doit faire face à l’efficacité sans scrupule de la mafia.

Naples respire. Submergée pendant plusieurs semaines par l’accumulation dans les rues des ordures ménagères, la cité parthénopéenne a été finalement nettoyée. A la suite des mesures d’urgence prises par le gouvernement et de la réouverture forcée de décharges saturées, il ne resterait aujourd’hui plus que quelques centaines de tonnes de déchets à écouler avant de retrouver une situation à peu près normale. Normale mais provisoire. Car tous les ingrédients qui ont amené Naples au bord de la crise sanitaire sont encore présents. La Campanie manque structurellement de décharges et l’incurie administrative doit faire face à l’efficacité sans scrupule de la Camorra, la mafia locale.

Depuis plusieurs années, déjà, la Pieuvre a en effet mis la main sur le trafic extrêmement juteux des déchets. Selon l’association Legambiente, ce secteur représenterait pour la criminalité organisée un chiffre d’affaires annuel de 3 milliards d’euros.

Au cours des premiers états généraux de lutte contre la mafia, en novembre dernier, le substitut du procureur de la République de Santa Maria Capua Vetere, en Campanie, estimait que « le trafic illégal de déchets représente la deuxième activité des organisations criminelles, juste après la drogue ». Et bien avant la contrebande de cigarettes, le racket ou la prostitution. Car Cosa Nostra et ses petites sœurs de Calabre, des Pouilles et de Campanie ont très vite compris l’intérêt qu’elles pouvaient tirer du commerce illicite d’ordures. « Depuis toujours, elles ont contrôlé les décharges et les terrains sur lesquels les ordures étaient déversées n’importe comment », explique Isaia Sales, ancien secrétaire d’Etat et spécialiste de la Camorra. Mais, à la fin des années1980, le phénomène a changé de dimension. La Camorra s’est lancée dans la récupération des déchets industriels et hospitaliers, chimiques, voire radioactifs.

Le phénomène de ce que l’on désigne désormais sous le nom « d’écomafia » a été découvert un peu par hasard en 1988, raconte Vito Faenza, journaliste au Corriere del Mezzogiorno : « Un chauffeur de camion avait été hospitalisé après s’être brûlé en versant un déchet industriel chimique dans un champ. Les enquêtes ont commencé. » Et les magistrats ont mis au jour une véritable industrie. Dans la région de Naples, près de 200 clans se seraient ainsi lancés sur le marché de « l’écomafia », à commencer par la redoutable famille des Casalesi, dans la région de Caserte.

Accessible et géographiquement proche des grands complexes industriels du nord de la Péninsule, la Campanie devient en quelques années « la poubelle de l’Italie ». Les déchets récupérés sont jetés par les mafieux dans les décharges qu’ils contrôlent ou même abandonnés dans la nature. Les champs, les cours d’eau, les grottes sont aujourd’hui sérieusement contaminés. Et la lutte est difficile car les risques judiciaires encourus sont encore très faibles, à peine quelques années de prison. « C’est un trafic plus facile que celui de la drogue, ajoute Isaia Sales, il ne nécessite pas de réseau international et toute une partie de l’activité, à savoir le contact avec les entreprises pour l’attribution des déchets, est licite ».

L’écomafia permet ainsi à la Camorra de disposer d’une vitrine légale. Quant à la population locale, elle préfère souvent s’accommoder de ces trafics. « Les paysans sont soudoyés pour recevoir les déchets dans leurs champs », détaille Vito Faenza. Régulièrement des mouvements populaires contre les projets d’installation de décharges légales ou de centres de retraitement des déchets publics secouent ainsi la Campanie. Non tant par crainte des effets polluants mais au contraire par peur de perdre les sources de revenus procurés par l’écomafia.

La région reste ainsi largement sous-équipée en décharges, et Naples croule désormais fréquemment sous les immondices. Face à l’urgence actuelle, les autorités ont cherché dans les derniers jours à exporter les ordures à l’est, en Roumanie notamment. Mais, de ce point de vue, la Camorra a été une fois encore plus rapide. Une enquête a en effet révélé que les parrains avaient commencé à sous-traiter l’affaire en réorientant des déchets industriels toxiques vers l’Afrique et la Chine.

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