Medef : les mystères de la caisse noire

Mercredi 17 octobre 2007 — Dernier ajout mardi 16 octobre 2007

Medef : les mystères de la caisse noire

Gautier-Sauvagnac, suspecté d’avoir extrait 20 millions d’euros en liquide de la comptabilité de l’UIMM, se met en retrait du patronat. Mais l’enquête ne fait que commencer.

illustration marcelino truong FRANçOIS WENZ-DUMAS

QUOTIDIEN : mardi 16 octobre 2007

Soulagement au Medef : Denis Gautier-Sauvagnac a proposé hier de « [s]e mettre en retrait de la négociation sur la modernisation du marché du travail ». Alors que la réunion mensuelle du Conseil exécutif de l’organisation patronale s’annonçait houleuse, cette mise à l’écart volontaire a désarmé ses adversaires, sans pour autant faire perdre la face au président de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). DGS, comme il est surnommé, reste membre des instances du Medef, où il continuera à présider la commission « relations du travail ». Mais il n’aura plus à conduire de délégation patronale face aux syndicats, alors que l’enquête sur les retraits d’argent liquide sur les comptes de l’UIMM connaît chaque semaine de nouveaux rebondissements. Le total des sommes retirées depuis 2000 dépasserait les 20 millions d’euros.

Décès. Parmi les quarante-cinq membres du conseil exécutif du Medef, certains souhaitaient que Denis Gautier-Sauvagnac abandonne toute responsabilité. Mais la réunion d’hier après-midi se prêtait mal à une offensive en règle. « Laurence Parisot, très émue, a commencé par rendre hommage à Manuel Gomez, en charge des relations internationales du Medef, dont nous venions d’apprendre le décès », raconte un participant. Président de Renault-Export et du comité des constructeurs français d’automobiles, Manuel Gomez était, au côté de Denis Gautier-Sauvagnac, un des représentants de l’UIMM dans les instances dirigeantes du Medef. Au sein d’un club aussi sélect que le conseil exécutif, sonner l’hallali contre un des membres le jour où l’on annonce le décès d’un autre aurait été une impardonnable faute de goût. D’autant qu’à la différence de Denis Gautier-Sauvagnac, Manuel Gomez jouissait de la confiance de Laurence Parisot. Il calmait souvent le jeu dans les relations orageuses entre la présidente du Medef et l’UIMM. Vendredi, DGS avait déjà échappé à une attaque en règle de ses pairs, cette fois au sein du bureau de l’UIMM, où siègent les dirigeants des quelques fleurons de l’industrie française (PSA, Renault, Areva, Safran, Philips France…). Mais après d’assez vives discussions, il avait été confirmé dans ses fonctions, sans pour autant obtenir que soit publié un communiqué de soutien, comme le souhaitaient Denis Gautier-Sauvagnac et ses amis.

C’est son prédécesseur, Daniel Dewavrin, président de l’UIMM de 1992 à 1999, qui, ce week-end, s’est chargé de la contre-offensive. Dans le Monde daté d’aujourd’hui, il assume et revendique l’existence d’une caisse noire. « Cet argent est constitué par des cotisations volontaires et supplémentaires » payées par « certaines entreprises », explique-t-il. Et il n’a « rien d’occulte ». « On peut penser qu’autrefois, c’était même beaucoup plus », se paie-t-il le luxe de préciser. A quoi ces sommes ont-elles été utilisées ? Elles l’ont été « dans le cadre des missions et de l’objet social de l’UIMM », indique son ancien président. Circulez, il n’y a donc rien à voir. L’actuel, Gautier-Sauvagnac, avait, lui, d’abord évoqué une utilisation dans le cadre des « œuvres sociales » de l’UIMM, avant de parler de « fluidifier les relations sociales ».

« Caisse antigrève ». Cette présentation sibylline ferait sourire ceux qui connaissent un peu les pratiques de l’UIMM, si les dégâts collatéraux sur l’image des partenaires sociaux n’étaient pas redoutables. « La seule surprise, c’est qu’il se soit fait prendre aussi bêtement la main dans le sac, sans se soucier de la nouvelle réglementation sur le blanchiment », confie, sous le sceau de l’anonymat le plus absolu, un ancien dirigeant du CNPF (Conseil national du patronat français, qui devint le Medef en 2000). Et de rappeler qu’en 1952, en pleine guerre froide, l’UIMM, dont les initiales signifiaient alors Union des industries métallurgique et minière, avait créé une « caisse antigrève », pour récompenser les syndicats qui se montraient les plus compréhensifs dans la négociation. Et surtout contrecarrer l’influence communiste dans le mouvement syndical.

Mais ce trésor de guerre a aussi et probablement bien davantage servi à faire éclore quelques talents politiques. « Seuls quelques naïfs croient encore que Giscard a pu mener campagne, en 1974, avec les maigres moyens humains des Républicains indépendants », écrit l’ancien directeur central des Renseignements généraux, Yves Bertrand, dans le livre de témoignages qu’il vient de publier (Je ne sais rien, mais je dirai [presque] tout, Plon). Ouvrage dans lequel il évoque aussi le souvenir des « enveloppes en liquide » de l’UIMM.

Côté syndical, la perte d’influence de Force ouvrière dans l’industrie et la montée en puissance de la CFDT, dont l’UIMM s’est toujours méfiée, a rendu inopérante la méthode dite des « primes de fin de négociation ». Côté CNPF, la page a été définitivement tournée en 2000. « Une des premières choses qu’Ernest-Antoine Seillère et Denis Kessler ont faite en créant le Medef a été de demander la liste de toutes les officines qui émargeaient, se rappelle un ancien de l’organisation patronale, et les robinets ont été fermés ». Des grandes entreprises ont pu jouer les mécènes lors de l’emménagement du Medef dans les nouveaux locaux de l’avenue Bosquet, dans le VIIe arrondissement de Paris. A visage découvert.

Arrosage. Mais, manifestement, à l’UIMM, la pompe n’a pas été désamorcée. Pour arroser qui ? La ligne de défense de Denis Gautier-Sauvagnac serait plus crédible si les enquêteurs n’allaient de surprise en surprise, avec la découverte de nouveaux retraits d’espèces dans les différentes banques de la fédération patronale de la métallurgie. Ce n’est plus de 4 ou 5 millions d’argent liquide dont il est question, mais de 20 millions en six ou sept ans, dont 2 ont été retrouvés vendredi dans un coffre de l’IUMM dans une agence parisienne de la BNP. Au moins pour ces deux millions-là, Denis Gautier-Sauvagnac n’aura pas à se justifier. Pour les dix-huit autres, les enquêteurs n’ont pas encore trouvé la trace d’une comptabilité parallèle.

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