Renaud Van Ruymbeke : « On ne peut plus étouffer une affaire »

Mercredi 18 mai 2022

Renaud Van Ruymbeke : « On ne peut plus étouffer une affaire »

Publié le 18 mai 2022 à 10h10 Modifié le 18 mai 2022 à 10h41

À l’occasion de la conférence* de Renaud Van Ryumbeke à Rennes ce 18 mai à 17h sur « l’Ethique & le Business », Le Télégramme republie l’interview de l’ancien juge. Retour sur 44 années d’une carrière impressionnante.

Une carrière de pionnier

De l’affaire Boulin aux dossiers Kerviel, en passant par les frégates de Taïwan ou de Karachi… Son nom a toujours été associé à des affaires où s’entrecroisent haute finance, politique, secrets et raisons d’État… Renaud Van Ruymbeke est un patronyme qui sent le souffre. C’est aussi celui d’un pionnier. Parmi les juges d’instruction français, il a, avec quelques confrères, participé à placer la lutte anti-corruption au rang de réalité. Avec tous les tracas que cela génère… En octobre 1996, lorsqu’il appose sa signature, aux côtés de 400 autres magistrats français, à l’appel de Genève -une sorte de cri du cœur face aux difficultés rencontrées par les juges à contrer les circuits financiers illégaux et à assurer, de fait, l’égalité de tous devant la loi-, Van Ruymbeke a déjà instruit les affaires Boulin, Urba, le financement occulte du Parti républicain… Il ne le sait pas encore, mais il va s’atteler à l’une des affaires criminelles les plus retentissantes de la fin des années 90 : celle de l’assassinat de la petite Caroline Dickinson à Pleine-Fougères. Il l’instruira avec les mêmes valeurs que celles utilisés contre la délinquance en col blanc : de la rigueur, de l’éthique et un principe : nul n’est jamais au-dessus des lois.

Vous êtes devenu le symbole de la justice anticorruption. Quand vous débutez votre carrière en 1975, celle-là n’existe pas. C’est ce que vous découvrez en 1979, en instruisant un dossier d’escroquerie immobilière ?

Je suis juge d’instruction à Caen depuis deux ans quand je suis saisi de cette affaire. C’est mon premier poste. Dans ce dossier, un ministre, pressenti pour diriger le prochain gouvernement, est cité : Robert Boulin. Je découvre qu’il est lié au suspect dont je demande aux policiers le placement en garde à vue. Le lendemain, je découvre avec stupeur que le commissaire a fait libérer le suspect. Était-ce lié à ses relations ? Je n’en sais rien, mais j’ai dû faire appel aux gendarmes pour me l’amener. C’est lui qui m’affirme, par la suite, qu’il aurait donné au ministre, de manière déguisée, un terrain à Ramatuelle, dans le Var. J’ai alors décidé de vérifier sur les comptes bancaires de Robert Boulin. J’ai ordonné cette réquisition sans en informer le parquet. Je ne voulais pas que l’information parvienne au ministre de la Justice et au principal intéressé.

Mais le ministre est retrouvé mort. Il a laissé une lettre dans laquelle il affirme s’être suicidé. Et il vous rend responsable de son geste ?

Oui, j’apprends cela au journal télévisé de 13h, où mon visage s’affiche en grand. J’ai 27 ans et, pour moi, c’est un coup de massue. Je suis KO debout. Je me demande alors si j’ai bien fait. Mais la raison l’a vite emporté. Je n’avais fait que mon travail… à une époque où cela ne se faisait pas, dans ce genre de dossiers. Toute la procédure sera validée par la suite et les autres acteurs du dossier condamnés, un an plus tard.

Je suis sorti de l’affaire Boulin renforcé, avec la conviction qu’il ne faut ni céder, ni transiger

Contrairement à vos collègues de Caen, la haute hiérarchie ne vous soutient pas. Vous appren Lire la suite.

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