Siemens : les scandales font des dégâts

Lundi 13 août 2007

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THIBAUT MADELIN

Siemens : les scandales font des dégâts

[ 23/04/07 ]

Corruption de fonctionnaires, enquête de la Commission européenne pour ententes illégales, amende record pour sa responsabilité dans le cartel des appareillages électriques, pots-de-vin de centaines de millions d’euros… après Volkswagen, le constructeur automobile, entaché par un sombre scandale de caisses noires et de prostituées, Siemens est à son tour stigmatisé. Déjà, on parle d’un « système Siemens », caractérisé par des valises de billets et une corruption généralisée. Un grave revers pour le conglomérat allemand de cent soixante ans, perçu de l’extérieur comme le tenant économique des valeurs prussiennes, qu’on associe volontiers à raison ou à tort à l’Allemagne encore aujourd’hui : rigueur, fiabilité et intégrité.

Un revers qui a conduit jeudi à la démission Heinrich von Pierer, son président du conseil de surveillance, et qui plonge l’industrie allemande, au-delà du cas de Siemens dans un grand désarroi. Ce même Heinrich von Pierer, président du directoire de l’entreprise jusqu’en 2005, avait publié en 2003 un ouvrage intitulé… « Entre le profit et la morale. Pour une économie humaine ». A l’époque, il passait pour le patron le plus apte à s’épancher sur la question. Il avait même été, un temps, pressenti pour assurer la fonction très prestigieuse de président de la République fédérale.

Que reproche-t-on en fait à Siemens ? L’affaire la plus importante porte sur des versements douteux de 420 millions d’euros, touchant essentiellement ses activités de réseaux de télécommunications, fraîchement mariées avec le finlandais Nokia. Elle a éclaté en novembre, avec la perquisition des bureaux du groupe - y compris celui de son patron, Klaus Kleinfeld - et l’arrestation de plusieurs dirigeants, dont l’ancien membre du directoire Thomas Ganswindt. A l’origine, un versement de 50 millions de dollars par un cadre, Michael Kutschenreuter, à un consultant saoudien qui le menaçait d’étaler au grand jour des actes de corruption antérieurs. Personne n’est accusé dans cette affaire de s’être enrichi personnellement. Selon sa déposition, relayée par le « Wall Street Journal », Michael Kutschenreuter avait alerté ses supérieurs, y compris Heinrich von Pierer et Klaus Kleinfeld. Ceux-ci ne sont pas inculpés contrairement à Heinz-Joachim Neubürger, directeur financier jusqu’en avril dernier.

La deuxième affaire est moins importante en termes financiers, mais ses conséquences pourraient affaiblir la cogestion à l’allemande (qui impose un partage des décisions stratégiques avec le personnel). Elle concerne des versements de plusieurs millions d’euros à un ancien membre du comité d’entreprise, par ailleurs président du syndicat indépendant AUB, rival du très puissant IG Metall. L’actuel membre du directoire Johannes Feldmayer (et ancien prétendant au poste de Klaus Kleinfeld) est accusé d’avoir donné son feu vert à ces paiements censés amadouer le syndicat. Il a été placé en détention provisoire à la veille de Pâques. La troisième affaire, dont le procès a lieu actuellement, s’intéresse à deux anciens cadres dirigeants de la branche énergie, qui auraient versé jusqu’en 2000 des pots-de-vin à des cadres du groupe italien Enel, via une banque au Lichtenstein. Les deux autres scandales mettent en cause le groupe munichois dans deux réseaux d’ententes illégales, l’un sur les prix des appareillages électriques (il s’est vu infliger une amende record de 419 millions d’euros), l’autre sur ceux de transformateurs (l’enquête se poursuit).

Les conséquences de ces affaires sur Siemens sont difficiles à estimer. Jusqu’à présent, Klaus Kleinfeld et ses conseillers en communication ont réussi à neutraliser leurs effets en nommant deux auditeurs indépendants (Debevoise & Plimpton, puis Davis Polk & Wardwell) pour mener leurs enquêtes. Loin de demander la tête du jeune patron, les marchés restent concentrés sur la restructuration en cours, traduite notamment par la scission prévue de la filiale d’équipement automobile VDO ou la création de la société commune dans les réseaux de télécommunications avec Nokia. Alors que Klaus Kleinfeld impose un choc culturel au groupe avec ses décisions radicales, le titre du poids lourd de l’industrie allemande bat des records : il dépasse la barre des 80 euros pour la première fois depuis 2001. Comme si les scandales ne préoccupaient pas les investisseurs.

Si le départ d’Heinrich von Pierer marque une césure dans l’histoire du conglomérat, il ne devrait pas tourmenter davantage les marchés. Au contraire, puisqu’il donne les coudées franches à son successeur dont ils saluent les méthodes. Pour preuve, la hausse du cours vendredi dernier. Les conséquences devraient cependant se mesurer en termes d’image. Premièrement vis-à-vis de l’opinion publique. Dans son propre fief, le quotidien munichois « Süddeutsche Zeitung » s’étend volontiers sur les scandales Siemens. Deuxièmement vis-à-vis des clients. Et c’est là que le bât blesse. Décidé à redorer le blason du groupe, Klaus Kleinfeld a d’ores et déjà lancé une réforme interne pour combattre les pratiques illégales, y compris sur des marchés où les pots-de-vin sont monnaie courante. Mais si les accusations de corruption sont fondées, Siemens pourrait tout simplement se voir interdire l’accès à des contrats publics, y compris aux Etats-Unis, où il est coté. La Securities and Exchange Commission (SEC) s’intéresse d’ailleurs de près à ses affaires. Elle a confié le dossier à un expert. De quoi réjouir General Electric, le vieux rival américain du géant bavarois.

THIBAUT MADELIN est journaliste au service Industrie des « Echos »

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