Clearstream : les méthodes de Van Ruymbeke devant le CSM

Samedi 3 février 2007 — Dernier ajout samedi 12 mai 2007

Renvoyé devant l’instance disciplinaire, le juge dénonce une manœuvre de Sarkozy.

Clearstream : les méthodes de Van Ruymbeke devant le CSM

Par Renaud LECADRE

QUOTIDIEN : samedi 3 février 2007

Renaud Van Ruymbeke n’a pas froid aux yeux. Il le confirme.

Mis en cause dans l’affaire Clearstream ­ le garde des Sceaux Pascal Clément ayant requis vendredi son renvoi devant le CSM (Conseil supérieur de la magistrature) ­, le juge d’instruction a contre-attaqué en pointant Nicolas Sarkozy, partie civile dans l’affaire du corbeau. « La décision du ministre de la Justice, prise dans un dossier où M. Sarkozy m’a publiquement attaqué, est une décision politique sans surprise. »

On reproche au juge d’avoir rencontré à trois reprises Jean-Louis Gergorin, ancien vice-président d’EADS, qui refusait de témoigner officiellement. Ce dernier finira par lui envoyer les faux listings Clearstream par voie anonyme. A ce stade, rien de choquant : Gergorin se disait menacé, l’affaire des frégates de Taiwan sur laquelle enquêtait « RVR » étant jonchée de cadavres. Par contre, une fois des plaintes déposées pour dénonciation calomnieuse, Van Ruymbeke n’a pas dévoilé à ses collègues d’Huy et Pons l’identité du corbeau. Un reproche qui vaudrait également pour Dominique de Villepin. Tout à sa stratégie de victimisation, Sarkozy dénonçait en octobre, sur TF1, le « mensonge d’un corbeau qui s’est allié avec un juge ». Singulier raccourci, puisque c’est l’enquête de RVR qui a permis de démontrer la fausseté des listings. L’affaire Clearstream aurait pu en rester là sans la « surmédiatisation encouragée par monsieur Sarkozy », estime Van Ruymbeke.

« Mérites ». Dans l’éventualité de poursuites disciplinaires, Pascal Clément avait commandé deux rapports, l’un au président de la cour d’appel de Paris, magistrat indépendant, l’autre à l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), sous tutelle de la chancellerie. C’est peu dire que leurs conclusions divergent. Selon le premier : « Au regard de la nature très particulière de l’affaire des frégates de Taiwan et des obstacles rencontrés par monsieur Van Ruymbeke, il ne me semble pas possible de considérer comme un manquement à la déontologie le fait d’avoir rencontré un témoin, monsieur Gergorin, en dehors des locaux judiciaires et sans être assisté d’un greffier […]. Au vu de ses incontestables mérites professionnels, je n’ai pas le sentiment qu’une procédure disciplinaire soit nécessaire. » Pour l’IGSJ en revanche, en dépit du « caractère exceptionnel des affaires concernées » (Taiwan et Clearstream), RVR a « été singulièrement imprudent ou a manqué de discernement. » Clément a traduit : « Manquements justifiant la saisine du CSM. » Cela rappelle a contrario l’affaire du juge niçois Jean-Paul Renard, évincé en 2004 de la magistrature pour copinage maçonnique. A l’origine, l’IGSJ et le garde des Sceaux s’étaient ridiculisés en publiant sur l’Internet un rapport accablant au contraire son principal ennemi, le procureur Eric de Montgolfier.

« Volatile ». Sarkozy a répondu à Van Ruymbeke : « Il a tort, vraiment tort. Ses propres pairs l’ont jugé, qu’il relise le rapport. »

Avocat de profession, le candidat UMP semble ignorer qu’un rapport administratif n’a pas valeur de jugement.

Gilbert Thiel, juge antiterroriste proche de RVR, ironise sur l’identité du prochain président du CSM (le président de la République en titre) : « Il sera peut-être l’une des parties civiles de l’affaire Clearstream, cela risque d’être délicat… » Et s’interroge sur une justice ayant perdu le sens des enjeux : « Que pèsent les frégates de Taiwan, plombées par le secret-défense, face à une médiocre affaire de volatile qui n’est devenu le feuilleton de l’année qu’en raison de ses implications politiques ? »

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