Des industriels italiens se rebellent contre le racket mafieux

Vendredi 5 octobre 2007 — Dernier ajout jeudi 4 octobre 2007

INTERNATIONAL : Des industriels italiens se rebellent contre le racket mafieux

Date de parution : Jeudi 4 octobre 2007

Auteur : Eric Jozsef, Rome

ITALIE. Malgré les représailles, de plus en plus de chefs d’entreprise refusent de verser le « pizzo » aux parrains. Le patronat, de son côté, a décidé de prendre des mesures.

Ils ne l’ont pas averti. Dans la nuit, les mafieux se sont approchés du grand hangar de sa société puis ils ont méthodiquement allumé le feu. En quelques heures, ils ont pratiquement détruit tout son outil de travail. A l’aube, l’entrepreneur palermitain Stefano Guajana n’a pu que constater les dégâts puis raconter à la presse son unique culpabilité : avoir refusé de céder au racket, au tristement célèbre pizzo de Cosa Nostra.

Comme lui, de plus en plus de commerçants et d’industriels se rebellent à l’impôt de la mafia. Et en paient souvent douloureusement le prix. Passages à tabac, incendies, hold-up. Les rétorsions sont impitoyables pour ces individus en révolte qui sont encore très minoritaires en Sicile ainsi qu’en Calabre et en Campanie où depuis des décennies la criminalité organisée a imposé sa loi.

Reste qu’une nouvelle bataille s’est engagée. D’abord individuellement, puis de manière plus organisée, ces résistants au pouvoir de la Pieuvre ont décidé de sortir de l’ombre défiant ouvertement les parrains. Le mois dernier, le patronat italien est enfin monté à son tour au créneau. La Confindustria a en effet annoncé son intention d’expulser de ses rangs ses adhérents qui acceptent de subir le racket et a appelé l’armée à l’aide.

Le 22 septembre, l’organisation est même passée à l’acte. La direction régionale de Reggio de Calabre a été limogée après avoir été visée par une enquête du Parquet antimafia. « Nous avons pris cette décision pour garantir une transparence maximale et défendre l’image de l’association », ont expliqué les responsables nationaux de la Confindustria, rappelant que la branche calabraise du patronat a été perquisitionnée en juillet par la police qui lutte contre la ’Ndrangheta, la mafia locale. L’enquête porterait notamment sur les conditions d’octroi des appels d’offres de l’autoroute Reggio de Calabre-Salerne mise sous la coupe réglée des clans, et dont les coûts sont devenus exorbitants. Sur ce tronçon, chaque kilomètre de galerie serait plus onéreux qu’un kilomètre du tunnel sous la Manche.

La Pieuvre n’a toutefois pas l’intention de battre en retraite. En 1991, les mafieux n’avaient pas hésité à abattre Libero Grassi, un entrepreneur qui avait eu l’audace de se révolter. Cette fois, Cosa Nostra n’a pas - « encore » disent les pessimistes - lancé ses sicaires pour faire un exemple en éliminant un rebelle. Mais les intimidations se multiplient et sont chaque jour plus violentes. Les chantiers brûlent, les pelleteuses sont régulièrement détruites, les vitrines des commerçants sont brisées. « Dans les quartiers populaires de Palerme, ils paient tous le pizzo, 100 ou 150 euros par mois », a récemment détaillé le professeur d’université et spécialiste de la mafia Antonio La Spina. Dans le reste de la ville, le taux frôlerait les 90%. Les sommes exigées varient en fonction de la taille de la boutique et de son volume d’activité. Au total, le racket rapporterait chaque année 10 milliards d’euros aux clans mafieux.

L’association « Addio Pizzo », fondée il y a quelques mois par sept commerçants excédés qui, une nuit, ont placardé des affiches dans toute la ville pour dire non à l’extorsion, demeure relativement isolée.

Cependant, le 18 septembre dernier, Vincenzo Conticello, propriétaire d’une pâtisserie de la ville, a solennellement brisé l’omertà. Dans une salle d’audience du Palais de justice, il a publiquement affronté les mafieux désignant l’un de ses persécuteurs. L’index pointé vers l’homme de main Giovanni Di Salvo, il a osé affirmer : « C’est lui qui m’a demandé le pizzo. »

Le président de la région Sicile, Salvatore Cuffaro, a apporté son soutien aux entrepreneurs victimes de la mafia. Mais au moment où Vincenzo Conticello témoignait devant les juges, l’élu avait le regard fixé sur une autre salle d’audience du tribunal de Palerme. Celle où se déroule un procès dans lequel il est lui-même accusé d’association avec Cosa Nostra.

© Le Temps. Droits de reproduction et de diffusion réservés. www.letemps.ch

Source url de l’article.

Revenir en haut