Blanchiment : le procès des banques qui disent oui

Lundi 8 octobre 2007

Blanchiment : le procès des banques qui disent oui

Voyage | lundi, 8 octobre 2007 | par Hyacinthe Seillat

Les cartels de drogue eux aussi ont leurs petits soucis de transfert d’argent. Des ennuis qui seront décortiqué lors d’un procès évènement, à Bobigny, en novembre prochain et où les banques tiendront un petit rôle.

Trafiquer la drogue n’est plus chose aisée. En toute tranquillité il faut la produire, l’expédier, la vendre, ramasser l’argent, rapatrier les billets et les blanchir. Ouf !

Pour la première fois, le procès d’une structure de rapatriement de l’argent de la drogue se déroulera à Bobigny, le 19 novembre prochain, pendant lequel une dizaine de Français et d’Espagnols seront jugés. Parmi lesquels, des banquiers. Cinq mandats d’arrêt internationaux courent toujours à l’encontre de trafiquants colombiens et espagnols en fuite.

L’enquête, ouverte en 2003 et menée par le juge Roger Le Loire, a été confiée aux flics de l’Office de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) et à l’Office central de répression du trafic international de stupéfiants (OCTRIS).

La difficulté, pour les cartels producteurs de drogue installés en Colombie, consiste à récupérer l’argent que leur a rapporté la poudre, d’énormes sommes récoltées à l’étranger, principalement aux Etats-Unis et en Europe ; il leur faut rapatrier en secret des centaines de millions d’euros et de dollars récoltés en petites coupures. Après que des « mules » ont convoyé à l’étranger des boulettes de cocaïne cachées dans leurs vêtements ou leurs intestins, d’autres reviennent donc en Colombie lestés de billets de banque.

Pour cela, encore faut-il diminuer le volume de billets en convertissant des milliers de coupures de 10 ou 20 euros en billets de 500 euros, plus aisés à transporter. Toute une organisation !

La cellule de rapatriement et de blanchiment de l’argent démantelée en France et en Espagne a, selon les documents que Bakchich a pu consulter, permis d’expédier au moins 5 millions d’euros vers les cartels de Cali et de Bogota. « Les opérations de blanchiment du continent européen et d’Amérique du Sud sont toutes passées par le circuit bancaire ou financier. Leur évaluation doit poser nécessairement débat sur l’implication bancaire et l’absence avérée de contrôle ou de soupçon », indique l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, signée le 31 juillet 2007 par le magistrat de Bobigny, passé depuis à Paris.

Selon l’enquête, certaines banques avaient mis leurs œillères. Elles n’ont vu que les juteux bénéfices à retirer des opérations que d’improbables commerçants venaient leur proposer. En France, entre la banque Inchauspé de Hendaye, rachetée depuis par les Caisses d’épargne, et la CIC Société Bordelaise, une filiale du groupe CIC, près de 775 000 euros ont été déposés en petites coupures et retirées, après un court délai de décence, en bons gros billets de 500 euros.

En Espagne, 1,875 million d’euros ont été blanchis dans le système bancaire. En Allemagne, un membre du réseau, titulaire de 48 comptes, a ainsi transféré 1,2 million d’euros en Colombie. En Suisse, des virements ont alimenté des comptes aux Etats-Unis et à Panama pour quelque 750 000 euros. Sans oublier d’autres mini filières. Les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Comme écrit le juge dans son rapport final, que Bakchich a pu lire, le fonctionnement de l’agence de Hendaye de la banque Inchauspé, tenue par un membre de cette illustre famille de banquiers, « apparaît largement problématique quant au respect des règles élémentaires de la morale bancaire minimale ». Les trafiquants, se présentant comme des industriels du jouet, semblaient être les bienvenus.

Un salarié : « Ils versaient des devises en euros sur le compte et décaissaient en retrait d’espèces pour des montants supérieurs à 500 000 francs ». « Ces opérations néanmoins, assurait-il, ne l’avaient pas particulièrement surpris car la banque était habituée aux mouvements d’espèces pour des étrangers non résidents, il s’agissait de pratiques habituelles. Toute la banque était au courant, ajoutait-il, car le transfert de telles sommes d’argent nécessite beaucoup de personnel pour les vérifications et les recomptages ».

Petite précision de l’employé de l’agence : « Il est clair que la banque n’était pas tatillonne pour les flux importants au risque de perdre ses clients, la notion de blanchiment était volontairement écartée en partant du principe que c’était de l’évasion fiscale ». Eclairant… Quant aux cahiers sur lesquels les opérations importantes étaient notées pour être éventuellement dénoncées à Tracfin, le service anti-blanchiment de Bercy, ils ont quasiment tous disparus. C’est la direction Audit des Caisses d’épargnes qui a signalé à Tracfin, après le rachat de l’établissement ; les drôles de pratiques découvertes.

Les conclusions de l’ordonnance de renvoi ne sont pas jolies jolies pour les banques. « On ne peut pas ne pas s’étonner de la facilité avec laquelle des comptes – souvent nombreux -ont pu être ouverts. On ne saurait davantage ne pas regretter l’absence de réaction ou d’intervention dans la dénonciation puis le traitement d’opérations suspectes. On ne saurait enfin ne pas déplorer dans certains cas de figure l’absence de la moindre morale économique dans des opérations menées en France ».

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