Agent, un métier à surveiller

Vendredi 13 octobre 2006 — Dernier ajout mardi 21 avril 2009

Agent, un métier à surveiller

Publié le vendredi 13 octobre 2006

La justice enquête sur des rémunérations occultes pratiquées dans le football, entre des agents et des clubs, à l’occasion de ventes de joueurs. Ces pratiques douteuses menacent d’autres sports collectifs

Le football français ne tourne plus rond. Évasion fiscale, commission occulte, faux agents… Les dérives du foot -business sont dans l’œil de la justice depuis près d’un an. L’essentiel des investigations tourne autour de la question des transferts de joueurs. Il s’agit de remonter les circuits financiers ayant présidé à l’« achat » ou à la « vente » des stars du ballon. Les premiers résultats, au Paris-SG et à l’OM notamment, ont permis de révéler que ces circuits passaient par des places financières exotiques, via des kyrielles de sociétés écrans.

Ce sont là des méthodes déjà vues dans les affaires de corruption ordinaire. Dans ces fraudes présumées, le nom des agents sportifs est très souvent évoqué. Ils ont le rôle d’intermédiaires entre les clubs et les joueurs professionnels. À chaque nouveau contrat où apparaît leur signature, ils perçoivent des commissions allant jusqu’à 10% du coût du transfert. Pour les meilleurs joueurs, les sommes dépassent allègrement le million d’euros.

Tout ceci est légal, mais le problème vient du système dit des « rétro-commissions ». Un rapport d’enquête réalisé en mars à la demande des ministères des sports et des finances souligne : « Plusieurs agents sont soupçonnés de reverser une partie des commissions touchées à des tiers, plus particulièrement à des joueurs qui bénéficieraient de ce fait de compléments de rémunération échappant aux charges sociales. »

Parfois aussi, une part de l’argent de la vente retourne dans les poches des dirigeants ou des entraîneurs. Au besoin, le prix d’un transfert est gonflé par rapport à la valeur réelle d’un joueur. Cela permet d’augmenter la commission, et donc la rétro-commission qui peut s’ensuivre. Les enquêteurs s’interrogent, ainsi, sur un transfert réalisé fin 2001 par l’Olympique de Marseille.

Davantage de transparence auprès des clubs et des fédérations

Les Phocéens décident d’acheter le défenseur argentin Eduardo Tuzzio pour 1,5 million d’euros. Une convention est signée, avant que l’intéressé ne se ravise et n’opte pour le Servette de Genève. Cinq jours plus tard, nouveau revirement. Marseille décide de racheter Eduardo Tuzzio au club helvète et débourse cette fois 6,5 millions d’euros : soit 300 % d’augmentation en moins d’une semaine…

Tous les sports collectifs professionnels, le handball, le volley, le rugby et le basket, sont menacés à des degrés divers par les affaires qui secouent actuellement le monde du ballon rond. « Ce qui se passe dans le foot nous inquiète, reconnaît Gilbert Chevrier, chargé du dossier à la Fédération française de rugby. On ne se fait pas trop d’illusion, le risque de dérapage existe chez nous. »

L’enquête menée conjointement par des inspecteurs des finances et des sports va dans ce sens. Le rapport relève notamment « la présence d’agents non licenciés », opérant en toute impunité, et le « caractère embryonnaire du contrôle exercé par les fédérations ». La fraude la plus largement partagée concerne le paiement de l’agent. La loi oblige le joueur a rémunérer son agent lorsque celui-ci travaille pour lui. En réalité, ce sont les clubs qui mettent la main à la poche.

Ce constat a poussé le ministre des sports à sortir de son silence le 1er avril. S’appuyant sur le rapport, Jean-François Lamour a présenté huit mesures visant à « moraliser » et à « améliorer le contrôle » de la profession d’agent sportif. Il s’agit d’identifier dans les comptes des clubs le poste correspondant aux commissions versées, et de renforcer les sanctions à l’égard des agents fautifs… Le plus attendu de ces projets vise à assouplir la rémunération de l’intermédiaire. L’agent pourra être payé par le club et non plus seulement par le joueur qui l’a mandaté. Son statut ressemblera à celui des impresarios du milieu du spectacle. En clair, il s’agit de mettre en conformité la loi avec des pratiques jusqu’ici illégales.

Cette mesure était l’une des priorités de la Fédération française de football et des clubs. Elle a été retenue contre l’avis de l’Union nationale des footballeurs professionnels et de Provale, le syndicat des rugbymen. « Le sportif croit maîtriser les paramètres d’un transfert, raconte le directeur de Provale, Franck Belot. Il n’en est rien, car il n’a pas l’autorité d’un véritable client. Pour peser face à un agent, il faut rétribuer ses services. » Le ministre des sports défendait cette position, il y a six mois encore. Il a justifié sa volte-face en précisant que « les textes étaient peu applicables ». En contrepartie, il exigera davantage de transparence auprès des clubs et des fédérations.

« Les joueurs ont de moins en moins confiance en nous »

« C’est également aux représentants des agents de faire le ménage parmi leurs adhérents », note Jean-Pierre Karaquillo, directeur du Centre du droit et d’économie du sport. Pour l’heure, ce grand nettoyage se fait attendre. Responsable juridique à la Fédération française de football, Jean Lapeyre estime que les syndicats d’agents ne jouent pas leur rôle.

« Ils n’ont pris aucune initiative de dépôt de plainte contre les brebis galeuses de leur corporation », déplore-t-il. Les agents honnêtes sont pourtant les premiers à être pénalisés par les errements de leurs collègues. Comment lutter contre celui qui se propose de contourner la loi pour faire des économies ? Comment dire non à des pratiques existantes ?

Un agent français, qui préfère taire son nom, raconte la difficulté d’exercer son métier avec rigueur. « Les joueurs refusent de nous payer une commission, en prétextant qu’elle n’est pas dans les mœurs du milieu, dit-il. On n’a donc pas le choix : il faut se retourner vers les présidents de clubs pour toucher son salaire. Des entraîneurs demandent aussi des bakchichs. »

Et puis les discours réalistes passent mal. Parce qu’il n’a pas signé avec le club de ses rêves, parce que son « papa rêve de le voir toucher le gros lot », le jeune se laisse facilement séduire par les promesses du premier venu. « Les joueurs ont de moins en moins confiance en nous, confie l’agent. Ils vont d’un intermédiaire à l’autre. Il est difficile de travailler sur la durée, de leur parler carrière sportive plutôt que gros sous. »

Olivier TALLES

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Réaction

Delphine Verheyden avocate spécialisée en droit du sport : « Changer la loi ne résoudra pas tout »

« Les révélations parues dans la presse m’ont surprise. J’avais l’impression que le système était trop verrouillé, que personne ne voulait faire le ménage, que tout le monde était résigné face aux pratiques en cours… Ceci dit, changer la loi ne résoudra pas tous les problèmes. Il y aura toujours des dérives devant les sommes en jeu. La vraie question est de savoir si le recours à un agent est indispensable. J’ai tendance à penser que plus le joueur est bon, plus il peut s’en passer. Certes, ce métier est né d’un besoin. À l’origine, les sportifs ont cherché à se faire épauler dans leurs négociations avec les présidents de clubs. Certains dirigeants leur faisaient signer des contrats au rabais. Pour éviter les "arnaques", ils ont été demander de l’aide à des personnes gravitant dans le milieu, des anciens joueurs ou techniciens. Ceux-ci se sont ensuite improvisés agents. Des pratiques se sont instaurées, avant même la mise en place de textes de loi. Les clubs ont ainsi pris l’habitude de rémunérer les agents. Aujourd’hui, on assiste à l’arrivée d’agents de deuxième génération. Cela va susciter davantage de concurrence, avec des risques de surenchère pour décrocher des contrats. »

« Agents de sportifs »

Quelles sont les modalités pour obtenir la licence ? Comment sont-ils perçus ? Que penser de la loi ? À travers une trentaine de questions, Delphine Verheyden fait le tour d’une profession au centre des polémiques. Pratique, ce livre s’adresse aux futurs agents, aussi bien qu’aux lecteurs évoluant dans le milieu du sport. Particulièrement éclairantes sont les interventions de personnalités, éducateurs, entraîneurs, joueurs, agents et journalistes amenés à s’interroger sur le métier. Avec, en guise de conclusion, cet avertissement de Pierre Villepreux, ancien joueur et sélectionneur de l’équipe de France de rugby : « Ne pas être prisonnier du système, c’est accepter non seulement de se passer d’un agent, mais c’est surtout avoir la volonté de gérer seul sa carrière. »

Agents de sportifs, de Delphine Verheyden, Éd. du Puits fleuri, 271 p., 22 €.

O.T.

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Pour plus de précisions veuillez vous reporter aux rubriques suivantes :

1) l’interview de Denis Robert : le football est devenu une formidable machine à blanchir de l’argent ;

2) L’ouvrage de Denis Robert : « le milieu de terrain ».

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