« Une mécanique de fraude quasi industrielle »

Lundi 16 octobre 2006 — Dernier ajout mardi 21 avril 2009

Journal l’Humanité

Rubrique Sports

Article paru dans l’édition du 16 octobre 2006.

Sports

« Une mécanique de fraude quasi industrielle »

Affaires. Un an après son ouverture, l’enquête sur les comptes et les transferts du PSG, de mai 1991 à avril 2006, avance.

Entretien avec Rodolphe Albert, ex-salarié du club et principal témoin.

L’affaire Dhorasso à peine achevée par le limogeage de l’ex-international, c’est une autre affaire qui a évolué la semaine passée au Paris SG. Mercredi, on apprenait par l’AFP la mise en examen de l’ancien directeur financier du club. La juge financière Françoise Desset, cosaisie de ce dossier avec le juge Renaud van Ruymbeke, suspecte une « complicité de faux » de la part de Pierre Frelot, dans ce que l’on nomme le second volet de l’enquête sur les transferts douteux du club, centré sur les agents de joueurs.

L’affaire démarre d’un audit interne de Vivendi Universal, propriétaire du club de 1991 à 2006 via sa filiale Canal Plus et partie civile dans le dossier. Cette étude met au jour un système illégal de rémunération complémentaire des joueurs, instauré par le PSG avec son parraineur, Nike.

Fin septembre 2005, le parquet de Paris autorise les juges à enquêter sur ce système d’entente présumée, qui aurait permis au club de payer moins de cotisations sociales. Le second volet a trait au rôle présumé d’agents de joueurs. Certains d’entre eux auraient notamment perçu des surcommissions lors du transfert de leurs joueurs au Paris SG et les auraient ensuite reversées à leurs poulains comme compléments de salaires non déclarés.

Trois dirigeants de l’équipementier ainsi que les anciens présidents du club parisien, Francis Graille (2003-2005) et Laurent Perpère (1998-2003), ont été mis en examen, tout comme les deux agents Ranko Stojic et Richard Bettoni, depuis le 21 septembre.

C’est dans ce cadre quesort en juin dernier le livre de Rodolphe Albert (1). Cet ancien contrôleur de gestion, puis directeur financier et directeur attaché à la présidence de la formation francilienne, y énumère les « agissements frauduleux » qu’il a découverts alors qu’il était en fonction, entre 1997 et 2005, et dont il a fait part aux juges avant publication. « J’ai voulu dénoncer l’attitude scandaleuse des vrais responsables de la fraude qui ont cherché à faire porter le chapeau aux dirigeants du PSG. Ceux qui ont participé à cela doivent assumer », nous explique-t-il.

Contacté, Canal Plus n’a pas souhaité réagir, « des procédures judiciaires étant en cours ». Rodolphe Albert a été licencié par le club en 2005 pour « faute grave » et des accusations de détournements de fonds. Suite à ce licenciement, une enquête a été ouverte.

Qu’est-ce qui vous a le plus choqué dans ce que vous avez découvert ?

Rodolphe Albert. La taille d’un tel système de fraude. En effet, il a perduré au-delà des changements d’hommes au PSG, présidents ou directeurs, durant l’ère Canal Plus, et c’était devenu une mécanique quasiment industrielle. Mais bien plus que les montants fraudés, c’est la façon dont les vrais responsables ont cherché à faire porter le chapeau à d’autres qui m’a scandalisé. Les décisionnaires ont lâché les exécutants.

Comment avez-vous pu être dans la direction du club et ne pas avoir pris part à ce que vous dénoncez ?

Rodolphe Albert. La structure du club était particulière. Le décisionnel était concentré à Canal Plus. Les prises de décision au PSG représentent souvent beaucoup d’argent. Elles sont donc tenues par quelques personnes. Pour suivre le budget général du club, on ne me présentait que les contrats de transfert qui allaient ensuite à la Ligue pour être enregistrés. Impossible de savoir ce qu’il y avait derrière. Je n’aurais sûrement rien compris encore aujourd’hui si je n’avais pas surpris la séance de destruction de documents que je décris dans mon livre. Seules quelques personnes savaient ce qui se passait. Mais petit à petit, les doutes se sont éveillés en moi.

Croyez-vous que le foot puisse être lavé de toutes ces dérives ?

Rodolphe Albert. Ne connaissant pas le fonctionnement des autres clubs, je me garderai bien de généraliser le besoin de lessive à l’ensemble du football. Mais ce dont je suis sûr, c’est que de telles dérives devraient disparaître. D’une part parce que la justice fait son travail, à l’Olympique de Marseille comme au PSG, et que, si les peines sont lourdes, cela aura une valeur d’exemple pour l’ensemble du football. D’autre part, l’intérêt de frauder se réduit considérablement du fait de l’évolution favorable du cadre légal du sport professionnel.

De quelles dispositions légales parlez-vous ?

Rodolphe Albert. Le foot a reçu un énorme cadeau avec les droits à l’image, non soumis à charges sociales. La taxe sur les salaires et la TVA non récupérable, déjà considérablement amoindries par la soumission des transferts à la TVA, pourraient disparaître si la billetterie connaissait le même sort. Une question me taraude cependant : quand la Ligue se décidera-t-elle à intervenir dans ce dossier, comme elle l’a fait dans le passé pour d’autres clubs de moindre importance, car le championnat de France a bel et bien été faussé ? Même le football italien, si souvent critiqué pour ses méthodes, a su prendre des décisions courageuses. D’autant plus qu’avec quelques mesures très simples, on peut empêcher tout cela par la prévention.

Quelles sont ces mesures ?

Rodolphe Albert. Je les expose dans mon livre. Un organisme indépendant de la ligue professionnelle devrait être créé. Il aurait pour rôle de contrôler la vie contractuelle et financière des clubs, des joueurs et des agents. Ainsi, toute convention, quelle que soit sa nature, devrait y être déposée et la réalité des prestations vérifiée suivant des critères précis et concrets. Tous les mouvements de fonds en rapport avec le domaine sportif devraient transiter par les comptes de cet organisme afin d’éviter toute malversation. Mais surtout, il faut responsabiliser les destinataires finaux des montages frauduleux, à savoir les joueurs, en les obligeant à cosigner avec les dirigeants de club une attestation officielle précisant leur statut exact vis-à-vis des agents et l’inexistence de toute rémunération occulte, c’est-à-dire non prévue par leur contrat de travail officiel.

Les noms de joueurs apparaissent en effet souvent dans les enquêtes. Pourquoi n’ont-ils jamais été inquiétés par la justice ?

Rodolphe Albert. Je suis partagé sur cette question. D’un côté, eux n’ont touché que ce que leurs clubs leur avaient promis en salaire net d’impôts. D’un autre côté, on peut considérer qu’ils sont complices des montages financiers illégaux même si tous ne participaient certainement pas aux négociations entre leur agent et le club. Pour trancher, je crois cependant qu’il faut les mettre devant leurs responsabilités : à la justice de voir si des joueurs doivent être condamnés mais cela servirait d’exemple pour que les autres ne se prêtent plus à ce genre de montage. Je suis sûr qu’après, ils réfléchiraient à deux fois aux modes de rémunération qui leur sont proposés.

Avez-vous eu des contacts avec le milieu du foot français depuis ?

Rodolphe Albert. Je n’étais pas préparé à devenir le vilain petit canard. Quelques présidents de clubs m’ont cependant témoigné de leur soutien. J’ai déjeuné cet été avec certains qui prônent une gestion assainie. Mais c’est la loi de l’omerta. Beaucoup sont attirés par le pouvoir, l’argent et la médiatisation et font tout pour ne pas en être exclus. Regardez Francis Graille : limogé du PSG, il s’est tout de suite retourné vers Clermont Foot et assiste encore en tribune officielle aux matchs du PSG au Parc des Princes. Il descend même régulièrement aux vestiaires pour faire la bise aux joueurs dont le recrutement sous sa présidence lui a valu sa mise en examen. Quel message de tels comportements délivrent-ils à la justice ?

(1) Les Secrets du PSG, la danseuse de Canal Plus, Rodolphe Albert, Éditions Privé. 318 pages, 19 euros.

Entretien réalisé par Stéphane Guérard

Publié avec l’aimable autorisation du journal l’Humanité.

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Pour plus de précisions veuillez vous reporter aux rubriques suivantes :

1) l’interview de Denis Robert : le football est devenu une formidable machine à blanchir de l’argent ;

2) L’ouvrage de Denis Robert : « le milieu de terrain ».

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