Des entrepreneurs siciliens ont déclaré la guerre au racket de Cosa Nostra

Dimanche 13 janvier 2008 — Dernier ajout lundi 14 janvier 2008

Europe

Des entrepreneurs siciliens ont déclaré la guerre au racket de Cosa Nostra

AP | 13.01.2008 | 18:09

Dans les affaires, Cosa Nostra a toujours pu compter sur la peur. Plus maintenant. Depuis quelques mois, une rébellion contre le « pizzo » (racket) ne cesse de croître dans les rangs des entrepreneurs siciliens qui unissent leurs forces, avec le relais d’Internet. S’il perdure, ce mouvement pourrait priver une organisation déjà affaiblie d’une de ses sources de revenus les plus stables.

Depuis ses débuts, la mafia sicilienne n’a cessé de rebondir après des échecs, mais cette fois-ci, elle est confrontée à un phénomène totalement nouveau : un site web baptisé « Addiopizzo » (adieu pizzo) où des entrepreneurs de Palerme disent non à la pratique d’extortion de fonds de Cosa Nostra. Une résistance -en cours dans d’autres villes- que viennent renforcer les arrestations de parrains en fuite et la récente découverte par les policiers de livres méticuleusement tenus par la Mafia dans lesquels sont consignés les noms de ceux qui se sont soumis au « pizzo » et les sommes versées par chacun.

"Cette rébellion va au cœur de la Mafia", observe le procureur de Palerme Maurizio de Luca qui enquête depuis des années sur des affaires d’extorsion de fonds.

Ces coups portés à Cosa Nostra suivent d’autres succès dans le combat mené contre le syndicat du crime en Sicile. Des témoignages de repentis ont permis d’envoyer des centaines de mafieux derrière les barreaux à la fin des années 1980 et une répression menée par l’Etat a affecté l’organisation une décennie plus tard après la mort dans des attentats à la bombe de deux juges anti-mafia Giovanni Falcone et Paolo Borsellino.

Les entrepreneurs défiant ouvertement Cosa Nostra sur le site « Addiopizzo » sont près de 230, un nombre encore faible comparé aux milliers d’entreprises et commerces de Palerme, mais ce mouvement permet de desserrer l’étau psychologique de « l’honorable société » sur les Siciliens, conditionnés depuis longtemps à croire que toute défiance apporterait la ruine ou la mort.

La campagne a été lancée en 2004 par des jeunes gens qui songeaient à ouvrir un café. Ils ont commencé par tapisser les murs de Palerme d’affiches déclarant « Un peuple tout entier qui paye le pizzo est un peuple sans dignité ». Leur mouvement s’est poursuivi sur Internet, où leur indignation a rencontré un écho fort parmi des Siciliens qui en avaient assez des pratiques mafieuses.

Confindustria, le patronat italien, a également donné de l’élan à ce mouvement en menaçant d’exclure les membres qui s’acquitteraient de l’impôt de Cosa Nostra.

Dans le même temps, les autorités ont accentué la pression sur des entrepreneurs, poursuivant en justice tous ceux qui refusent de témoigner contre la mafia dans des affaires d’extorsion on ne peut plus manifestes. Conformément à la législation, toute personne démentant un versement en dépit de l’existence de preuves flagrantes peut être accusée d’avoir « aidé » Cosa Nostra.

"Maintenant, le risque est plus grand pour nous de payer que de ne pas payer", observe Ugo Argiroffi, qui a récemment ajouté son entreprise palermitaine de construction, C.O.C.I, à la liste d’Addiopizzo.

Palerme n’est pas le seul lieu de résistance : un groupe similaire s’est formé à Catane, deuxième ville de l’île. Fait encore plus significatif, la rébellion s’est enracinée dans des bastions des plus impitoyables clans de Cosa Nostra, notamment à Gela, ville côtière industrielle, où quelque 80 entrepreneurs ont dénoncé ces derniers mois les tentatives de racket.

Il s’agit d’un tournant spectaculaire par rapport au début des années 80, quand un marchand de Gela, dénonçant le pizzo, avait été assassiné.

C’est Bernardo Provenzano, « parrain des parrains » présumé arrêté l’an dernier près de Corleone, qui des années durant a employé une stratégie consistant à faire payer peu mais à faire payer chacun des entrepreneurs, selon Piero Grasso, procureur national anti-mafia.

La donne s’était musclée à Palerme sous la houlette de Salvatore Lo Piccolo, appréhendé en novembre : l’armée des racketteurs est ainsi passée de 500 à 1.000 hommes pour extorquer des « salaires » mensuels de l’ordre de 2.000 euros, plus un mois supplémentaire à titre de bonus de Noël, précise Piero Grasso. La stratégie semble avoir mal tourné : plus la mafia a pressé, plus ses victimes ont résisté.

D’après Antonio La Spina, professeur de sociologie de l’université de Palerme, les versements atteindraient en moyenne 830 euros par mois, s’élevant à près de 175 millions d’euros dans la seule province de Palerme.

Sur le Net : http://www.addiopizzo.org

© AP

Publié avec l’aimable autorisation de l’Associated Press.

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