UBS : l’arbre qui cache la forêt

Mercredi 20 janvier 2010

Editorial janvier 2010

UBS : l’arbre qui cache la forêt

Les États démocratiques qui prétendent à la lutte contre les paradis fiscaux depuis un an n’évitent pas de susciter l’impression d’une incompétente agitation.

Pendant que de bonnes raisons continuent de donner à croire que la moitié du stock mondial d’argent transite par les paradis fiscaux, pendant que de nombreux gestionnaires de filières criminelles métissent leurs avoirs avec ceux de sociétés qu’ils maîtrisent dans les secteurs licites de l’économie, pendant que les nombreuses zones franches du monde continent de paralyser la loi pour confiner des travailleurs infortunés à des bagnes soustraits aux avancées de l’histoire, voilà que l’élite politique mondiale rejoue l’éternel spectacle de celui qui cherche désespérément à se défausser sur un bouc émissaire.

Faut-il encore répéter que les paradis fiscaux sont la doublure négative des États de droit ? Qu’ils retournent comme un gant le droit en vigueur dans les États traditionnels pour permettre aux puissants d’esquiver les contraintes en vigueur dans nos États pour tous les citoyens ? Qu’ils sont des pouvoirs hors la loi constitués aux fins d’une « surclasse » sociale transcendant les modalités mêmes de nos sociétés ?

Loin de s’attaquer au problème offshore comme tel – qu’il faudra bien rapidement admettre dans toute son étendue politique, sociologique et légale –, loin même de s’en prendre à tel champ spécifique d’activité illicite permise dans des paradis fiscaux complémentaires, voici que la classe politique cherche manifestement à se blanchir moralement.

Pris de suivisme, les États occidentaux s’attaquent subitement à telle banque, l’Union des banques suisses (UBS), depuis que l’IRS états-unien et l’administration Obama ont entrepris des démarches judiciaires l’an dernier auprès de ses représentants aux USA, autour de considérations techniques. Voyant le feu vert, la France a capitalisé par la suite en subtilisant de façon obscure à cette institution bancaire une liste de quelque 3 000 noms de fraudeurs fiscaux. Cette stratégie rappelle davantage les intrigues sordides d’un mauvais film noir des années 1970, The Swiss Conspiracy (2), que la position attendue d’un grand État censé avoir une influence politique ouverte sur l’évolution de l’Europe. (Le juge suisse à la retraite Bertrand Bertossa, bien qu’ouvertement opposé à l’existence des paradis fiscaux, a d’ailleurs critiqué le recours à des méthodes illicites de la part d’États de droit pour endiguer le phénomène offshore.)

Jamais à court de contradictions, le Canada, qui maintient ouvert depuis 1980, via la Barbade, un corridor d’évasion fiscale entre lui et le réseau des paradis fiscaux, a emboîté le pas. Son ministre du Revenu en a appelé au rapatriement des fonds canadiens appartenant aux particuliers, en citant nommément les clients d’UBS. Par les temps qui courent, le Canada incite également plus largement les contribuables à réinscrire les actifs de l’évasion fiscale au pays – « 7993 contribuables canadiens ont accepté de faire une divulgation volontaire de leurs activités illicites à l’étranger, pour des revenus non déclarés de 1,75 milliard de dollars » (3) – en prenant bien soin de réduire tacitement le phénomène de l’évasion fiscale aux particuliers, sans évoquer le problème crucial des sociétés et banques constituées.

* * * Christian Chavagneux convainc en rappelant, à l’aide d’un ouvrage de Janick Marina Schaufelbuehl, que le dossier suisse est aussi symboliquement sensible que financièrement substantiel : la fraude fiscale et autres détournements de fonds depuis l’Hexagone, par exemple, y ont été observés à maintes périodes du XXe siècle (1).

D’autres initiatives européennes restent significatives, comme cette concertation annoncée, bien qu’on soit loin du compte, entre les États germaniques d’Europe (Allemagne, Autriche, Liechtenstein, Luxembourg et Suisse) pour favoriser les enquêtes judiciaires malgré l’existence du secret bancaire.

Il reste que les coups à venir sont faciles à prévoir. Quelques semonces envers une grande banque et une seule, puis des aménagements cosmétiques quant à telle ou telle structure financière transversale, suffiront à permettre à une presse qui ne tient résolument pas à alimenter un débat aussi conséquent et techniquement complexe, de proclamer une énième fois « la fin des paradis fiscaux »… jusqu’à ce qu’une affaire de type « Elf » ou Madoff n’explose à nouveau, pour rappeler avec fracas l’existence d’une souveraineté offshore bien prégnante dans l’histoire.

Alain Deneault 19 janvier 2010

1 - « Batailles fiscales franco-suisses : les 4 leçons de l’histoire » http://alternatives-economiques.fr/blogs/chavagneux/2010/01/08/batailles-fiscales-franco-suisses-les-4-lecons-de-l%e2%80%99histoire/ le 8 janvier 2010.

2 - Jack Arnold, long métrage, USA 1977, film disponible in extenso à : http://www.youtube.com/watch?v=EKGurfvoKUM.

3 – « Évasion fiscale : Ottawa négocie avec 14 pays », Montréal, Cyberpresse, le 8 janvier 2010, repris in http://www.paradisfj.info/spip.php?article2074

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