Pénalité record pour Thales et l’Etat sur les frégates de Taïwan

Vendredi 10 juin 2011

Pénalité record pour Thales et l’Etat sur les frégates de Taïwan

Par Thierry Lévêque | Reuters

PARIS (Reuters) - Une sanction record de 630 millions d’euros infligée à l’Etat français et à la société Thales pour corruption lors d’une vente de frégates à Taïwan en 1991 a été confirmée définitivement en appel jeudi.

La somme, la plus forte jamais imposée à la France pour corruption, devra être payée à l’Etat de Taïwan et les contribuables français en paieront les deux tiers. Les bénéficiaires de la corruption sont restés inconnus en raison du secret-défense opposé à la justice pénale française.

La cour d’appel de Paris a rejeté le recours de Thales et confirmé le verdict d’un tribunal arbitral rendu en 2010 qui impose à titre principal le paiement de plus de 600 millions de dollars, une somme portée à 819 millions de dollars avec les intérêts (630 millions d’euros).

L’Etat français doit payer 460 millions d’euros et Thales 170 millions d’euros, proportionnellement aux parts de la Direction des constructions navales (DCN) et de Thales dans le contrat - respectivement 73% et 27%.

L’affaire concerne la vente par Thomson-CSF (devenu Thales) et la DCN de six frégates Lafayette pour 16,4 milliards de francs (2,5 milliards d’euros). Des « commissions » illégales, en principe interdites par le contrat, avaient été payées à des intermédiaires en vue d’opérations de corruption.

FILLON ACCUSE LES SOCIALISTES

Le Premier ministre François Fillon a rejeté sur les autorités socialistes de 1991, époque de la présidence de François Mitterrand, la responsabilité de l’affaire.

« Les finances publiques doivent donc supporter aujourd’hui les lourdes conséquences de la décision prise en 1991 de verser de commissions contrairement à la lettre du contrat », dit-il dans un communiqué.

Il annonce un amendement au projet de loi de finances rectificative en cours de discussion à l’Assemblée Nationale pour « solder cette affaire ».

Matignon promet par ailleurs d’essayer de récupérer l’argent chez ceux qui ont bénéficié des paiements de corruption, ce qui semble très hypothétique.

Ceci interviendrait uniquement dans l’hypothèse où les autorités de Taïwan obtiendraient des intermédiaires la restitution de tout ou partie des commissions versées, ont ajouté les services du Premier ministre.

Le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, a exclu lors d’une conférence de presse un pourvoi en cassation.

« Il n’y aura pas de cassation à la demande de l’entreprise Thales qui considère que ce n’est pas une bonne publicité pour elle », a-t-il déclaré en regrettant lui aussi cet « épilogue d’une vieille affaire, d’un passé lointain qui revient et qui pèse sur le budget public ».

Thales précise de son côté dans un communiqué que ce versement sera neutre sur ses résultats, ce litige ayant été intégralement provisionné lors des exercices précédents.

Le spécialiste de l’aéronautique, la défense et la sécurité, qui vise pour 2011 une légère croissance de ses ventes cette année et une marge opérationnelle courante de 5%, a accusé un résultat dans le rouge l’an passé sous le coup de provisions liées à des contrats sous-performants.

En octobre 2008, un non-lieu avait été prononcé dans l’enquête pénale ouverte en 2001 en France après la découverte en Suisse de plus de 500 millions de dollars sur les comptes bancaires d’Andrew Wang, intermédiaire taïwanais intervenu dans la vente.

SECRET-DÉFENSE

C’est cet argent placé sous séquestre en Suisse que semble viser Matignon, mais son retour en France est peu probable.

Au cours des années 2000, le secret-défense a été opposé aux juges d’instruction français Renaud Van Ruymbeke et Xavière Simeoni par le ministère des Finances sous la gauche (Laurent Fabius) comme sous la droite (Francis Mer et Thierry Breton).

Ils ont tous refusé de remettre les listes des bénéficiaires de commissions déclarées en 1991 par Thomson et la DCN. Il n’a donc jamais été possible de savoir qui avait touché de l’argent en France, malgré les soupçons de financement politique.

Plusieurs conséquences de cette affaire ont émaillé la vie judiciaire. C’est le cas du procès concernant l’ancien numéro deux de la société Elf Alfred Sirven et l’ex-maîtresse du ministre des Affaires étrangères de 1991 Roland Dumas, Christine Deviers-Joncour, qui ont réclamé de l’argent à Thomson en prétendant être intervenus dans l’affaire.

Le dossier des faux listings de l’affaire Clearstream, transmis au juge Van Ruymbeke en 2004 et qui prétendaient compromettre notamment Nicolas Sarkozy dans l’affaire des frégates, est aussi un dommage « collatéral » du dossier.

Avec Cyril Altmeyer et Elizabeth Pineau, édité par Yves Clarisse

© REUTERS

Publié avec l’aimable autorisation de l’Agence Reuters.

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