Enquête Karachi : un témoin accable le contre-espionnage français

Mercredi 30 janvier 2013

Enquête Karachi : un témoin accable le contre-espionnage français

AFP Publié le 30/01/2013 à 20:09

Un professionnel du renseignement affirme que le contre-espionnage français était au courant dès 1994 d’un financement occulte de la campagne de Balladur via des contrats d’armement et dès 2002 de la piste financière de l’attentat de Karachi qui a coûté la vie à quinze personnes.

Le témoignage de Gérard Willing, qui dirigeait une société de renseignement privé, est pris aux sérieux par les enquêteurs et les parties civiles qui vont demander de nouvelles auditions, selon des sources proches de l’enquête.

La Direction de la Surveillance du Territoire (DST), « savait tout dès 1994-1995 » sur un financement de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur grâce à des retro-commissions liées aux contrats d’armement avec l’Arabie Saoudite (Sawari II) et le Pakistan (Agosta), a témoigné Gérard Willing dans un entretien à l’AFP après une audition lundi chez le juge antiterroriste Marc Trévidic.

La DST a selon lui surveillé le siège de campagne du Premier ministre, filmant les allers et venues et « les valises » d’argent liquide. Les services « n’ignoraient rien » a affirmé cet homme qui dit avoir travaillé ponctuellement pour la DST.

C’est dans ce cadre, selon lui, que la DST lui aurait demandé d’identifier des personnes filmées devant le QG de M. Balladur qui réfute tout financement occulte de sa campagne. Mais, selon M. Willing, « tous les documents ont été détruits en 2011 ».

M. Willing a réaffirmé par ailleurs avoir fait, dès le 13 mai 2002, cinq jours après l’attentat, un compte-rendu oral à l’intention de la DST, faisant le lien entre l’attentat et une piste financière. Il aurait également rédigé une note écrite à l’intention du général Philippe Rondot, alors patron du renseignement français.

Les services « savaient »

Dans cette note consultée par l’AFP, M. Willing écartait, sur la base des témoignages de correspondants au ministère britannique des Affaires étrangères et du chef d’Etat-major de la marine indienne, la piste d’Al-Qaïda, privilégiée par le juge Jean-Louis Bruguière.

Il émettait « l’hypothèse » d’un attentat commis en représaille après l’arrêt, en 1996, des commissions et leur « captation par les amis orientaux du camp chiraquien » après l’élimination des premiers intermédiaires, Ali Ben Moussalem, Abdul Rhaman El-Assir, et Ziad Takieddine. Leur mise à l’écart a financièrement « lésé beaucoup de monde », notamment au Pakistan, selon M. Willing.

La thèse d’un détournement des commissions est aussi défendue par M. Takieddine, mis en examen dans le volet financier du dossier.

Mais « la DST a pas tenu compte » de sa note, explique M. Willing.

Cette piste d’un attentat de représaille est privilégiée par le juge Trévidic, qui a repris l’enquête en 2007, après la découverte fortuite, en 2008, dans les locaux de la Direction des Chantiers Navals (DCN), du rapport Nautilus écrit quelques semaines après l’attentat, et qui faisait état de la piste financière.

Le juge a récemment demandé la déclassification de la note de M. Willing, jamais versée au dossier.

« Les services français savaient et ont tout caché, il devront s’expliquer devant la justice », a réagi Gilles Sanson, qui a survécu à l’attentat et pour lequel « on est au cœur d’une affaire d’Etat ».

Son avocate, Me Marie Dosé, estime que ce témoignage « confirme que les services étaient au courant de la piste financières depuis 2002 ».

Avocats des familles, Me Olivier Morice a condamné « l’entrave au plus haut niveau de l’Etat » dans cette affaire.

AFP

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