Special Affaire THALES

Mardi 22 mai 2007

Ils ont dit - special Affaire THALES

Interview de Michel JOSSERAND, Ancien président de Thales Engineering and Consulting (THEC) LE MONDE, 27/09 :

Michel JOSSERAND : « Pour bien comprendre, il faut remonter à mai 2001, lorsque j’ai été nommé PDG de Thales Engineering and Consulting (THEC). Il y avait un problème lié au fait que cette filiale versait beaucoup de commissions occultes. Elle fonctionnait de manière autonome et ne prenait pas assez de précautions, notamment à l’export, pour verser des fonds. Donc le groupe m’a demandé de remettre de l’ordre afin que THEC rentre dans le rang et applique ce qu’on appelle chez Thales le code d’éthique. […]

Je sais qu’en Irak, Thales a contourné le programme Pétrole contre nourriture, en livrant des munitions chimiques au gouvernement de Saddam Hussein. » [Le Monde : L’ancien PDG de Thales Engeneering a dit aux policiers que cette société avait participé à la construction d’une usine officiellement destinée à fabriquer du lait en poudre pour les enfants irakiens. Selon lui, cette usine aurait été vouée à la confection d’armes chimiques pour le compte du régime baasiste. Ces faits se seraient produits avant l’arrivée de M. Josserand chez THEC, en 2001]. MJ : « C’est l’hypocrisie poussée à son maximum. Quand on lit ce « code », on a l’impression que Thales est propre. En fait, cela signifie faire passer toutes les commissions occultes par Thales International, qu’il s’agisse de marchés en France ou à l’étranger. Appliquer le code d’éthique, c’est s’adapter à la convention de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) qui interdit, depuis 2000, de verser des commissions. Or il y a chez Thales un expert juridique capable de contourner la loi. Il a mis au point tout un mécanisme dans ce but. [il s’agit] d’un ancien magistrat, qui a fait des audits dans de nombreux pays, afin de tester la robustesse du système par rapport à d’éventuelles enquêtes policières ou judiciaires. C’est lui qui a mis au point ce « code » qui formalise le versement des commissions. Cela dit, Thales n’a fait que s’inspirer des pratiques des grandes entreprises américaines. […] [Ce système ] Il permet de n’avoir qu’un seul canal pour organiser les versements occultes. Les filiales n’ont plus le droit de monter leurs propres réseaux. Il n’y a plus que quelques personnes qui trempent dans le système : les responsables de Thales International et, bien sûr, la direction du groupe. […] Rien que pour l’affaire du tramway de Nice dans laquelle je suis impliqué, sept membres du comité de direction étaient informés. La moitié du comité de direction est soit à l’origine du système, soit l’applique. Mais tout est suffisamment compartimenté pour que, en cas de problème, ce soit l’étage en dessous, quelqu’un comme moi, qui serve de fusible. […]

Par l’intermédiaire de sous-traitants basés à l’étranger. En multipliant les intermédiaires, on ne peut remonter jusqu’à Thales. […] [ Ce ne sont pas des sociétés-écrans.] Elles ont une consistance juridique, une véritable activité. Disons qu’elles sont « écrans » dans le sens où elles offrent une protection à Thales, mais elles sont bien réelles. L’idéal est de passer par une société industrielle. Par exemple des entreprises de BTP du Moyen-Orient que Thales va utiliser dans des contrats n’ayant rien à voir avec le BTP. On surfacture de 10 % ou 15 % tel ou tel bâtiment et le bénéfice dégagé sera reversé par l’entreprise en question aux destinataires des commissions. C’est imparable. Qui saura que Thales a trop payé ? Au pire, on répondra : "Ben oui, on s’est fait avoir, pas de chance…" En général, on demande aux entreprises choisies de mettre en place à leur tour deux ou trois autres intermédiaires afin de brouiller encore plus les pistes. […] Au total, j’estime que Thales doit verser en commissions illégales entre 1 % et 2 % de son chiffre d’affaires global -10,3 milliards d’euros en 2004. Thales International verse les montants les plus importants. Pour les petites sommes, de l’ordre de 50 000 euros, les filiales peuvent payer. » [Le Monde : Quels sont les critères de Thales pour verser ou non des pots-de-vin ?] MJ : « Il y a des endroits où c’est inévitable, comme en Afrique, en Corée, en Grèce, en Italie… En France, cela dépend des intérêts politiques locaux ou nationaux. Mais dans tous les cas, le système est le même. Si l’on peut passer par l’étranger, c’est mieux. En fait, il n’y a guère que dans certains pays européens, en Amérique du Nord, en Australie et en Nouvelle-Zélande où il est possible d’avoir des marchés sans payer. » [Le Monde : Pourquoi avoir évoqué certains dossiers et pas d’autres. Avez-vous fait un tri ?] MJ : « Non, ce sont les policiers qui, en perquisition, sont tombés sur un très grand nombre de documents ­ d’"éléments de preuves", comme ils disent. » [… Le Monde : Pourquoi aviez-vous ces documents ?]

MJ : « Au fur et à mesure, ma hiérarchie m’ordonnait de détruire les preuves. Je me demandais pourquoi. Je me suis dit que ma meilleure protection, c’était de les garder. Il y a une telle proximité entre Thales et les milieux de la défense nationale… Un jour, chez Thales, on m’a même proposé de placer des documents compromettants pour piéger quelqu’un, moyennant 20 000 francs. J’ai refusé. »

Nous citons longuement cet interview pour ce qu’elle dévoile, et parce qu’elle marque probablement le début d’une accélération. Lorsque qu’éclatent ce genre d’affaires les révélation fracassantes sont un appel à la solidarité du monde politique visant ses ingérences permanentes dans le juridique. Comme pour l’affaire Elf, la justice ne sera pas rendue aux véritables victimes, mais nous allons en apprendre beaucoup sur le cocktail pétrole-armes-politique.

Pierre Caminade

Extrait de Billets d’Afrique et d’Ailleurs N°141 - Novembre 2005 -

Billets d’Afrique et d’Ailleurs est la revue mensuelle éditée par Survie.

Publié avec l’aimable autorisation de l’Association Survie.

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