Affaire Karim Wade : Jersey, la nouvelle panacée de la CREI ?

Jeudi 24 avril 2014

Affaire Karim Wade : Jersey, la nouvelle panacée de la CREI ?

L’île Anglo-Normande d’où pourrait venir le coup de massue

Jersey. Cette terre perdue entre la France et l’Angleterre, la plus grande des îles Anglo-Normandes, 4,5 fois plus petite que la région de Dakar, lieu de placement de capitaux faramineux qui montent à 272 240 milliards de Cfa, réputée être la plus raffinée et la plus opaque des paradis fiscaux du globe, hante le sommeil des autorités sénégalaise en charge de la traque des biens présumés mal acquis. Elles sont convaincues, après avoir été mises par les Américains sur cette piste fructueuse, qu’elle fait office de caverne d’Ali Baba pour Karim Wade. Et depuis quelques semaines, sont survenus des développements qui fondent les tenants de la répression de l’enrichissement illicite à garder espoir. Révélations.

Qu’est-ce qui lie le plus célèbre détenu du Sénégal à la plus grande des Îles Anglo-Normandes, connue pour être le plus fermé et le plus sophistiqué des paradis fiscaux ? Un compte bancaire en son nom d’où il a tiré, début et fin avril 2007, au moyen de deux virements d’égal montant, la somme de 4 014 000 dollars américains. Soit 1 906 665 000 FCfa ; à l’époque, le cours du dollar étant à 475 FCfa. Et c’est de la Hong Kong & Shanghai Banking Corporation (Hsbc), une des 80 banques présentes à Jersey, qu’est parti l’argent pour atterrir à Monaco dans un autre compte ouvert par Karim Wade à la Ing Bank, qui s’est fondue dans la Julius Baer Group Limited après son rachat, en 2009.

4,014 millions de dollars de Hsbc Jersey à Ing Bank Monaco

La traque des biens présumés mal acquis déclenchée et Karim Wade incarcéré en mars 2013, c’est Washington qui file les informations précitées aux autorités sénégalaises, qui, à leur tour, demandent et obtiennent le blocage du compte de Monaco, encore effectif à ce jour, et qui affiche un solde créditeur de 2 030 000 euros. Soit 1 331 680 000 FCfa. Ensuite, les autorités judiciaires en charge de la traque des biens présumés mal acquis confortées par des informations très précises provenant de sources hautement fiables, ont deux certitudes : d’une part, Me Wade, qui a rué dans les brancards pour s’approprier le 1,9 milliard de francs Cfa, en soutenant que c’est un don du défunt roi d’Arabie Saoudite, Fahd, qu’il a confié à son fils, ignorait jusqu’à l’existence de ce compte bancaire à Monaco ; d’autre part, ce montant relève de… miettes, comparé à ce que Karim Wade aurait planqué dans son compte à Saint-Hélier. Mais, Dakar se heurte à un gros écueil qui anéantit tous ses espoirs de jeter un coup d’œil à ce qu’il présume être la caverne de l’ancien ministre d’Etat : dans le monde des paradis fiscaux, Jersey à la réputation de Fort Knox, siège de la Réserve fédérale américaine ; pire que le secret bancaire, c’est l’omerta qui y règne, garantissant un solide bouclier aux clients trop peu recommandables de la faune de banques de l’île.

4,5 fois plus petite que la région de Dakar, elle pèse… 119 fois le budget du Sénégal

« Perdues » entre la France et l’Angleterre, les Îles Anglo-Normandes ou Îles de la Manche dépendent directement de la Couronne britannique ; elles sont sous la souveraineté de la reine Elisabeth II, mais ne font cependant pas partie du Royaume-Uni, de même que de l’Union européenne, mais y sont associées. Composées d’îles, d’îlots et d’écueils se découvrant à marée basse, elles comptent onze territoires habités : Jersey, Les Minquiers, Les Écréhou, Guernesey, Aurigny, Burhou, Sercq, Brecqhou, Lihou, Herm et Jéthou.

Plus grande des Îles Anglo-Normandes, Jersey ne fait que… 118,2 km2 et 97 857 habitants dont 10 000 employés par les banques qui y pullulent. Certes dépendance de la Couronne britannique représentée par un Lieutenant-Gouverneur, Jersey est dirigé par un Bailli nommé par Elisabeth II, qui est le Président de l’Assemblée des Etats et de la Cour Royale. Secondé dans sa tâche par un Parlement de 51 membres élus (10 sénateurs, les connétables des 12 paroisses, 29 députés), un Avocat général et un Procureur général, le Bailli de Jersey est en vérité aux commandes d’un territoire largement autonome qui s’occupe de ses affaires intérieures et des relations internationales, surtout en ce qui concerne les questions fiscales.

Le Fort Knox des paradis fiscaux

Révélé par l’affaire des financements occultes du parti des chrétiens-démocrates allemands, la CDU, Jersey se prévaut d’un CV bâti sur du roc mis en lumière par une enquête du mouvement altermondialiste Attac : 80 banques internationales, la plupart anglaises et américaines, employant 10 000 personnes, vers lesquelles leurs maisons mères font affluer les opérations généralement douteuses de leurs gros clients ; les intérêts et profits de la spéculation des clients des banques sont reversés sans déduction fiscale ; le secret bancaire ne peut être levé par décision de justice que pour des cas exceptionnels – les enquêtes dans le cadre d’une recherche de la fraude fiscale n’en font pas partie ; les lois concernant la fondation de trusts et de sièges d’entreprises (entreprises exemptées d’impôts) sont faites sur mesure pour les besoins des gens souhaitant échapper à l’impôt  ; la régulation du secteur bancaire est organisée de manière assez souple, ce qui diminue les coûts et qui rend possibles certaines opérations bancaires ; par le biais de ces statuts légaux, les banques sont en mesure de permettre à leurs clients aisés de dissimuler des revenus du capital au fisc du pays dont ils sont ressortissants ; elles peuvent fonder pour leurs clients des « tax exempt companies » (firmes soustraites au fisc) et les transférer par settlement ; les profits sont à peine imposés (il n’existe qu’un impôt forfaitaire de 600 livres ou un impôt sur les profits de 02% par an). Lire la suite.

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